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Voici, dans le dĂ©sordre, quelques idĂ©es de sujets qui me semblent pouvoir faire l’objet d’une interrogation Ă  l’oral du concours. Il va de soi qu’elles n’engagent que moi, et que certains sujets sont plus probables que d’autres. J’en ajouterai peut-ĂȘtre s’il m’en passe par la tĂȘte. Rois et reines dans les contes Les incipit des contes Les dĂ©nouements des contes Les registres de langue dans les contes FrĂšres et sƓurs dans les contes PĂšres et mĂšres dans les contes Enfants et parents dans les contes Les Ăąges de la vie dans les contes La femme dans les contes L’enfant dans les contes Les animaux dans les contes La nature dans les contes Les couleurs dans les contes1 Morale et moralitĂ©s dans les contes Le peuple et les grands dans les contes La politique dans les contes Guerre et paix dans les contes Le temps passĂ© dans les contes Le rire et le burlesque, le comique, la satire, etc. dans les contes Vivre et survivre ou manger et ĂȘtre mangĂ© dans les contes La figure de l’auteur dans les contes Le dĂ©cor des contes Le théùtre des contes La sociĂ©tĂ© dans les contes La mode dans les contes L’esprit moderne dans les contes Amour et sexualitĂ© dans les contes Le bien et le mal ou “les bons et les mĂ©chants” dans les contes Les fĂ©es dans les contes2 Voyage et voyageurs dans les contes ou d’autres sujets autour de la question de l’initiation et de parcours initiatiques Les demeures des contes Il y a quelques annĂ©es, le jury avait proposĂ© “Les couleurs dans l’Education sentimentale”
 [↩] Un billet est consacrĂ© Ă  cette question dans le prĂ©sent carnet. [↩] Composition française – AgrĂ©gation 2022 – Perrault/Aulnoy Raymonde Robert Ă©crit dans Le Conte de fĂ©es littĂ©raire en France de la fin du XVIIe Ă  la fin du XVIIIe siĂšcle [1982], Paris, Champion, 2002, p. 403 “La vieille formule du theatrum mundi par laquelle le Moyen-Âge avait prĂ©tendu dĂ©noncer le jeu des apparences, des illusions et des vanitĂ©s mondaines, se trouve totalement retournĂ©e Ă  l’époque qui nous occupe ; bien loin de concevoir le monde comme théùtre pour le dĂ©prĂ©cier, c’est dans le théùtre, dans des dĂ©cors Ă©largis aux dimensions de leur univers clos et privilĂ©giĂ©, que le groupe des mondains prĂ©tendra dĂ©sormais inscrire le monde tout entier. Plus question dĂšs lors d’apprĂ©hender le spectaculaire comme une duperie dĂ©tournant de l’essentiel ; c’est lui qui est devenu le fondement mĂȘme de toutes les valeurs.” Quelles rĂ©flexions vous inspire ce jugement ? ___________________________________ Raymonde Robert raconte dans la prĂ©face de son livre comment, pendant ses Ă©tudes, elle a dĂ©couvert par hasard les quarante volumes du Cabinet des FĂ©es, imposant recueil encyclopĂ©dique des contes de fĂ©es français, Ă©ditĂ© Ă  la veille de la RĂ©volution par le chevalier de Mayer. Sa thĂšse paraĂźt pour la premiĂšre fois en 1982 aux Presses de Nancy, sous le titre Le Conte de fĂ©es littĂ©raire en France de la fin du XVIIe Ă  la fin du XVIIIe siĂšcle. Avec Jacques Barchilon, elle est la premiĂšre spĂ©cialiste Ă  considĂ©rer le genre du conte de fĂ©es dans sa chronologie sĂ©culaire longue 1690-1789 alors qu’auparavant, les chercheurs se concentraient sur la seule figure de Perrault, ou au mieux mettaient en Ă©vidence la premiĂšre phase de la grande mode des contes de fĂ©es 1685-1700, selon la chronologie de Storer1. “Théùtre du monde” on peut s’attendre d’un AgrĂ©gatif qu’il connaisse le sens de ce thĂšme certes mĂ©diĂ©val, mais qui remonte en rĂ©alitĂ© Ă  l’ On en trouve les prĂ©mices dans l’allĂ©gorie de la Caverne platonicienne La RĂ©publique, livre X, puis le motif apparaĂźt plus prĂ©cisĂ©ment chez les les StoĂŻciens, EpictĂšte et SĂ©nĂšque ces philosophes recommandent de bien savoir jouer sa vie, comme un acteur doit bien jouer son rĂŽle. L’image du théùtre du monde est aussi employĂ©e par les PĂšres de l’Eglise, pour dĂ©noncer le mensonge et les grimaces de notre existence “la vie entiĂšre du genre humain n’est qu’un mime, le mime de la tentation” saint Augustin, Commentaires sur les psaumes, 127, 15. Les PĂšres condamnaient les spectacles, mais ils recouraient volontiers au motif du théùtre pour condamner les mƓurs. Le théùtre servait alors Ă  dĂ©noncer le jeu des apparences, l’hypocrisie, la comĂ©die sociale, l’illusion gĂ©nĂ©ralisĂ©e. Ce vieux topos, dotĂ© depuis longtemps d’une histoire complexe et d’une profonde polysĂ©mie, connut une vogue sans prĂ©cĂ©dent Ă  l’époque dite “baroque” fin XVIe-dĂ©but XVIIe Shakespeare avait ainsi repris au fronton du globe une formule inspirĂ©e par PĂ©trone, Totus mundus agit histrionem, littĂ©ralement “le monde entier joue la comĂ©die”. Selon ce paradigme vite devenu stĂ©rĂ©otypique Ă  travers toute l’Europe, le monde est un jeu d’apparences, une comĂ©die oĂč chacun joue un rĂŽle. ”All the world’s a stage, And all the men and women merely players”, dĂ©clare Jaques dans As you like it. En Espagne, au milieu du XVIIe siĂšcle, Calderon Ă©crit une sorte de mystĂšre allĂ©gorique intitulĂ© El gran teatro del mundo. La France n’est pas en reste on songe Ă  L’Illusion comique de Corneille, par exemple 1635. Mais le thĂšme n’est pas seulement le propre des hommes de théùtre qui exaltent leur art comme le mieux Ă  mĂȘme d’embrasser la complexitĂ© du monde et de la sociĂ©tĂ© il est aussi cher aux moralistes qui, dans le sillage d’Augustin et des PĂšres de l’église, y voient de leur cĂŽtĂ© un instrument hermĂ©neutique propre Ă  condamner le siĂšcle. Affirmer que le monde est un théùtre revient alors Ă  dĂ©clarer qu’il est illusoire, inauthentique, vain, plaisant aux yeux mais dĂ©pourvu de profondeur. Montaigne, prĂ©dĂ©cesseur des moralistes du XVIIe siĂšcle, considĂšre ainsi qu’ “il faut ĂŽter le masque aussi bien des choses, que des personnes” Essais, I, 19. Chez Pascal, la vie est une tragĂ©die “Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comĂ©die en tout le reste on jette enfin de la terre sur la tĂȘte, et en voilĂ  pour jamais” Les PensĂ©es sont publiĂ©es en 1670. Les chrĂ©tiens les plus fervents aiment Ă  opposer au théùtre du monde et Ă  ses plaisirs Ă©phĂ©mĂšres des vĂ©ritĂ©s plus solides, une rĂ©alitĂ© plus essentielle seule la vie sous le regard de Dieu offre l’authenticitĂ© et la stabilitĂ© Ă  laquelle ils aspirent. Ces auteurs prennent volontiers pour cible la cour, concentrĂ© de mensonge, de brigue, et de tromperie, qui leur apparaĂźt comme le microcosme de la comĂ©die humaine tout entiĂšre. En 1642, le port-royaliste Arnauld d’Andilly Ă©crivait ainsi dans les Stances sur diverses vĂ©ritĂ©s chrĂ©tiennes rééditĂ©es jusqu’à la fin du siĂšcle Veux-tu voir une scĂšne en merveilles fĂ©conde ? ConsidĂšre la cour. C’est lĂ  qu’à tous moments Agissent les ressorts de ces grands mouvements Qui font changer de face au théùtre du monde C’est lĂ  que tout excelle en l’art des fictions C’est lĂ  que l’intĂ©rĂȘt rĂšgle les passions ; C’est lĂ  que du malheur l’insolence se joue ; C’est lĂ  qu’à la Fortune on dresse des autels ; Et que l’ambition, pour monter sur sa roue, Fait les plus grands flatteurs des plus grands des mortels. C’est sur la cour que convergent les critiques, comme Ă©pitomĂ© des vices brigues, mensonges, hypocrisie, paroles biaisĂ©es ; la cour incarne les mauvais cĂŽtĂ©s du théùtre. En 1678, dans La Princesse de ClĂšves, Madame de Chartres dĂ©clare Ă  sa fille “Si vous jugez sur les apparences en ce lieu-ci, dit Mme de Chartres Ă  sa fille, vous serez souvent trompĂ©e ce qui paraĂźt n’est presque jamais la vĂ©ritĂ©â€. La BruyĂšre, exact contemporain des conteurs, dĂ©nonce plus nettement encore la cour en l’assimilant Ă  un théùtre Dans cent ans le monde subsistera encore en son entier ce sera le mĂȘme théùtre et les mĂȘmes dĂ©corations, ce ne seront plus les mĂȘmes acteurs. Tout ce qui se rĂ©jouit sur une grĂące reçue, ou ce qui s’attriste et se dĂ©sespĂšre sur un refus, tous auront disparu de dessus la scĂšne. Il s’avance dĂ©jĂ  sur le théùtre d’autres hommes qui vont jouer dans une mĂȘme piĂšce les mĂȘmes rĂŽles ; ils s’évanouiront Ă  leur tour ; et ceux qui ne sont pas encore, un jour ne seront plus de nouveaux acteurs ont pris leur place. Quel fond Ă  faire sur un personnage de comĂ©die ! La BruyĂšre, Les CaractĂšres, “De la Cour”, 99, 5e Ă©dition. Le théùtre du monde n’est ainsi pas seulement un thĂšme mĂ©diĂ©val ou “baroque” il remonte Ă  un passĂ© trĂšs reculĂ©, et reste vivace bien aprĂšs le milieu du XVIIe siĂšcle. Le motif n’en reste pas moins ambigu utilisĂ© par les moralistes, hĂ©ritiers de la tradition des PĂšres et si l’on veut du Moyen-Âge, le theatrum mundi sert, comme l’écrit Raymonde Robert, Ă  “dĂ©noncer le jeu des apparences, des illusions et des vanitĂ©s mondaines” mais les dramaturges de l’ñge baroque ont montrĂ© qu’il Ă©tait possible d’inverser le stĂ©rĂ©otype eux-mĂȘmes reprennent le vieux thĂšme pour le “retourner” et suggĂ©rer que si le monde est un théùtre, le théùtre vaut bien le monde, car au fond tout n’est que jeu d’apparences et d’illusions. Ces jeux de miroirs sont le principe de ces “profondeurs de l’apparence” que dĂ©celait Claude-Gilbert Dubois dans son livre sur le baroque 1973. Si, Ă  en croire R. Robert ce qu’il faudra vĂ©rifier les contes s’écartent du theatrum mundi des moralistes, ils se rapprochent du “théùtre du monde” exaltĂ© par les dramaturges, qui voit dans la scĂšne un microcosme, raccourci du monde tout entier. Ainsi Shakespeare qui, dans Henri V, fait surgir “tous les milliers de casques qui Ă©pouvantĂšrent le ciel d’Azincourt” dans “le petit O de bois” que constitue la scĂšne de son théùtre, Le Globe. S’agissant de Perrault et Madame d’Aulnoy, la question du theatrum mundi s’impose comme une Ă©vidence, dans la mesure oĂč les contes au programme sont traversĂ©s par une théùtralitĂ© omniprĂ©sente. De quelque cĂŽtĂ© qu’on les considĂšre, ils sont dominĂ©s par le spectaculaire prodiges des fĂ©es, chars merveilleux conçus comme des machines d’opĂ©ra, Ă©pisodes bucoliques Ă©crits comme des pastorales dramatiques, costumes de scĂšne, Ă©tiquette, artifices de toute sorte, et jusqu’à l’évocation du théùtre et de l’opĂ©ra mis en abyme au coeur mĂȘme du texte. D’oĂč la question que nous pose Raymonde Robert quel est le statut de cette théùtralitĂ© ? L’autrice de la citation considĂšre que les contes constituent une cĂ©lĂ©bration de la théùtralitĂ© comme paradigme idĂ©alisĂ© pour penser un monde qui ne s’étend guĂšre au-delĂ  des limites des salons prĂ©cieux. Les contes seraient un théùtre qui reflĂ©terait, pour l’exalter, ce microcosme mondain soumis Ă  des codes eux-mĂȘmes rĂ©gis par un fonctionnement de type théùtral luxe des dĂ©cors, Ă©tiquettes, rĂ©gulation stricte de la parole, esthĂ©tisation des rapports sociaux, etc.. Cette rĂ©flexion en miroir et cette limitation du cadre rĂ©fĂ©rentiel sont renforcĂ©es dans le texte de Raymonde Robert par l’antithĂšse entre Ă©largissement et clĂŽture le cosmos “tout entier” des conteuses et conteurs, mĂȘme â€œĂ©largi” n’excĂšde pas les frontiĂšres des beaux quartiers parisiens peuplĂ© de dames Ă©lĂ©gantes et de leurs galants cavaliers – une sociĂ©tĂ© bien fermĂ©e d’aristocrates dĂ©sƓuvrĂ©s Ă©chappant aux rudes contraintes du temps. Dans cette phrase, toutefois, Raymonde Robert ne borne pas son jugement Ă  Madame d’Aulnoy et Ă  Perrault elle considĂšre le phĂ©nomĂšne dans son ensemble. Nos deux auteurs restent des Ă©crivains du XVIIe et siĂšcle Ă  ce titre encore influencĂ©s par la tradition morale si vivace Ă  l’époque oĂč ils composaient les contes s’agissant de ces textes prĂ©cisĂ©ment, le thĂšme du théùtre du monde comme manifestation du jeu de dupe qu’est la comĂ©die humaine est-elle nĂ©cessairement complĂštement invalide ? Le théùtre n’est-il dans nos Ɠuvres que l’occasion d’exalter l’art de vivre aristocratique et moderne ? Le vieux topos ne continue-t-il pas de fonctionner, dans des Ɠuvres qui, au moins chez Perrault, affichent une prĂ©tention morale ? On se demandera donc Ă©galement, pour nourrir la discussion, si les contes ne mettent pas en scĂšne de façon aussi exubĂ©rante le cadre salonnier pour mieux le mettre Ă  la distance, de façon Ă  rĂ©tablir un systĂšme antithĂ©tique binaire et platonicien, opposant Ă  la superficialitĂ© des apparences une profondeur Ă©thique, Ă  la maniĂšre des moralistes de leur temps le spectaculaire ne serait pas seulement “une duperie dĂ©tournant de l’essentiel”, mais le voile chatoyant et trompeur masquant une essence invisible. La théùtralitĂ© est pourvoyeuse d’éclat, mais aussi de chimĂšres et d’illusions, et Ă  ce titre trop ambiguĂ« pour se prĂȘter Ă  un sens univoque. L’exaltation des apparences est-elle le dernier mot de nos rĂ©cits ? La cĂ©lĂ©bration du faste pourrait fonctionner comme un trompe-l’Ɠil dissimulant un sens plus profond, qu’on apercevra ou pas, “selon le degrĂ© de pĂ©nĂ©tration de ceux qui les lisent”. La fin de l’énoncĂ© invitait dans tous les cas Ă  s’interroger aussi sur la question du “fondement des valeurs” dans quelle mesure les contes bouleversent-ils la hiĂ©rarchie des valeurs sociales et mondaines ? Questionnement axiologique qui pouvait mettre en jeu des problĂšmes Ă©thiques et esthĂ©tiques, voire Ă©valuer leur possible coĂŻncidence l’élĂ©gance des salons et de ceux qui les hantent renvoie-t-elle Ă  une supĂ©rioritĂ© morale ? Se dessine ainsi l’esquisse de cette dĂ©marche tripartite qu’affectionnent les jurys de concours. I. “Le plus beau spectacle qu’il eĂ»t jamais vu” le royaume des apparences et de la frivolitĂ© La citation invitait nĂ©cessairement Ă  mettre en place rapidement au sein du devoir un repĂ©rage des phĂ©nomĂšnes liĂ©s Ă  une théùtralitĂ© exhibant le microcosme de la galanterie mondaine. A. La galanterie et la magnificence un microcosme fermĂ©, conçu par et pour un petit groupe de “privilĂ©giĂ©s” L’aristocratie constitue au sens strict du terme une caste de privilĂ©giĂ©s bĂ©nĂ©ficiant de toute sorte d’avantages lĂ©gaux et juridiques – en particulier l’exemption de la taille personnelle et d’autres impĂŽts. Sur la “magnificence” et la “galanterie”, voir quelques considĂ©rations ici et ici . Le beau monde dicte les normes du savoir-vivre dont les contes se font l’écho. Loin de discrĂ©diter cette vie oisive et superficielle vĂ©cue par les mondains, les contes Ă©talent aux yeux des lecteurs tous les plaisirs de la vue, de l’ouĂŻe, et des autres sens, que les riches oisifs pouvaient goĂ»ter Ă  Versailles ou Ă  Sceaux les contes sont bien des “miroirs de leur temps”, mais considĂ©rĂ© du point de vue des plus aisĂ©s, qui peuvent jouir des sĂ©ductions dont le progrĂšs “moderne” se montre prodigue. Ces miroirs ne sont pas des specula dans lesquels on contemple son Ăąme et ses dĂ©fauts ils sont plutĂŽt des invitations Ă  une vanitĂ© qui n’est pas rĂ©prouvĂ©e, mais cultivĂ©e, comme en tĂ©moignent les innombrables allusions Ă  la mode du temps. Voir ici pour quelques propositions d’exemples B. Théùtre des contes et théùtralisation de l’existence Le spectacle est omniprĂ©sent dans nos contes, et tout particuliĂšrement l’opĂ©ra, ses prestiges et ses machines, mis en abyme au cƓur des rĂ©cits Voir ici Comme le rappelait une Ă©tudiante sa copie, l’épĂ©e de diamant rappelle le bouclier de diamant qui, dans l’Armide de Quinault et Lully 1686, dissipe les enchantements. On trouve aussi des scĂšnes de tragĂ©die, comme la fin du “Nain Jaune” p. 237-238, placĂ©e sous le signe de la passion funeste, du tombeau, et de la fatalitĂ© – la mĂ©tamorphose finale nous fait songer davantage toutefois aux tragĂ©dies lyriques de Quinault qu’aux piĂšces parlĂ©es de Racine. On dĂ©couvre Ă©galement de vraies scĂšnes de comĂ©dies, voire de farce, lorsque Carabosse descend par la cheminĂ©e p. 136, ou que Percinet Ă©merge d’un tonneau p. 69. Ce sont comme des scĂšnes théùtrales convenues et artificielles qu’il faut lire les scĂšnes bucoliques, hĂ©ritĂ©es de la pastorale dramatique du dĂ©but du siĂšcle dans “Le Rameau d’or”, par exemple, p. 193 sqq..3 . Les dialogues de Riquet et de la Princesse peuvent aussi rappeler des rĂ©pliques théùtrales, comme la cuisine souterraine, ou les rideaux du lit de la Belle. Le loup du “Petit Chaperon rouge” est Ă©galement comĂ©dien, habile Ă  contrefaire sa voix, maĂźtre en travestissement, metteur en scĂšne hors pair. Les personnages de nos rĂ©cits sont des acteurs, au physique fortement caractĂ©risĂ©, monstrueux ou d’une beautĂ© divine, et costumĂ©s pour le rĂŽle qu’on attend d’eux le prince joue avec conviction au berger, vĂȘtu “d’un habit de pasteur extrĂȘmement galant” p. 195, et la princesse, plus Ă  contrecƓur, prend la pose de la bergĂšre. La plupart endosse le costume de la chevalerie et de de la courtoisie, au prix d’un travestissement parfois comme Belle-Belle/FortunĂ©. L’imaginaire luxuriant des contes autorise aussi pleinement le dĂ©ploiement d’un théùtre fantasmatique oĂč les fantaisies sexuelles se donnent libre cours, Ă  la faveur du prĂ©texte fĂ©erique et des mĂ©tamorphoses ainsi les relations ambiguĂ«s entre la biche et son prince dans “La Biche au bois”. Le théùtre omniprĂ©sent rĂ©pond Ă  une vie mondaine codifiĂ©e, tout entiĂšre spectacle, oĂč la conversation est Ă©rigĂ©e au rang d’un des beaux-arts, et oĂč l’on n’ignore pas non plus l’art du cosplay et du jeu de rĂŽle comme l’atteste le portrait de Julie d’Angennes en AstrĂ©e, ou la vogue des ballets de cour oĂč les participants, de haute naissance, se costument pour danser. Le spectacle devient effectivement, d’une certaine façon, l’origine et la source des valeurs auxquelles adhĂšrent galants et mondains les apparences superficielles semblent Ă©rigĂ©es en norme de vie. Les contes nous donnent Ă  admirer de parfaits courtisans, des gentilshommes courtois, des dames raffinĂ©es, voire PrĂ©cieuses comme Gracieuse, maĂźtres d’eux-mĂȘmes, capables de jouer leur existence conformĂ©ment Ă  l’étiquette qu’on exige pour ĂȘtre admis dans cette sociĂ©tĂ©. C. L’apologie de la Caverne Les contes apparaissent ainsi au premier abord comme une apologie de la Caverne. Loin de pointer vers quelque arriĂšre-monde, ils invitent Ă  succomber aux prestiges des enchantements, Ă  la griserie des sortilĂšges, Ă  la sĂ©duction des sens les yeux du lecteur sont “fascinĂ©s” par la magie comme s’ils avaient Ă©tĂ© ensorcelĂ©s par Percinet p. 57. L’admiration de Gracieuse pour les marionnettes met Ă  distance le mythe platonicien qui faisait de la marionnette tirĂ©e par ses passions un truchement pour penser la vocation morale de l’homme, Ă©cartelĂ© entre vice et vertu Lois, I, 644d-645c, et VII, 803c-804b le spectacle de marionnette, comme aussi celui de l’Oiseau bleu, n’est plus ici qu’un divertissement surprenant n’ayant en vue que la jouissance des yeux. Sur les spectacles de marionnettes dans nos rĂ©cits, voir Raymonde Robert nous invite Ă  considĂ©rer nos textes dans une perspective qu’on aurait appelĂ©e il y a quelques dĂ©cennies “baroque” une dĂ©bauche de spectaculaire, un art de la surprise et du far stupir Ă  la Marino comme le montre par exemple le surgissement du Nain Jaune, p. 225, un univers d’or, de pierreries, de luxe, vaste théùtre dans lequel on s’étourdit pour ne pas songer Ă  traverser ce miroitement d’apparences brillantes et frivoles. La vie n’est-elle qu’un dĂ©cor d’opĂ©ra au service d’une succession de plaisirs indĂ©finis et bĂątis sur du vide ? II. Des “louanges empoisonnĂ©es” Comme le rappelle Raymonde Robert, le vieux topos du theatrum mundi Ă©tait communĂ©ment utilisĂ© par les moralistes. S’agissant des conteurs de la premiĂšre “vogue” du conte de fĂ©es, se pourrait-il que le motif ait malgrĂ© tout conservĂ© son rĂŽle paradigmatique pour dĂ©crire et condamner le jeu social ? A. Les puissances trompeuses Le conte, sous couvert d’exalter le faste, met aussi en Ă©vidence la tromperie des apparences. PrintaniĂšre se laisse ainsi berner par l’appareil pompeux dont est entourĂ© Fanfarinet, Rosette par sa fascination ridicule pour les paons, dont Jean Rousset a fait l’emblĂšme de l’ostentation et de la futilitĂ©4 . Les hĂ©ros souvent doivent rĂ©sister aux illusions qui les leurrent ainsi Torticolis/Sans-Pair, qui manque de succomber aux sortilĂšges de la bien-nommĂ©e “reine des MĂ©tĂ©ores” habile Ă  faire surgir des fantasmagories Ă©vanescentes “elle s’était crue victorieuse par le secours de tant de diffĂ©rentes illusions”, p. 208 ; ou le roi des Mines d’or, qui doit “dissiper” une troupe de nymphes p. 236, dont l’apparition n’était que le fruit d’un enchantement malĂ©fique. Inversement, le Roi charmant Ă©choue Ă  reconnaĂźtre Truitonne p. 99. Tout ce qui brille n’est pas nĂ©cessairement or. “L’habit, la mine et la jeunesse” s’y rĂ©vĂšle souvent trompeurs “l’habit” tirĂ© de la garde-robe du roi suffit Ă  transformer en marquis le dernier fils d’un meunier p. 243. B. Les masques de l’amour propre Madame d’Aulnoy, que les circonstances amenĂšrent Ă  rĂ©sider dans des couvents, fut-elle marquĂ©e par la pensĂ©e augustinienne ? La contemporaine de La BruyĂšre paraĂźt en tout cas avoir retenu la leçon des moralistes, et met en scĂšne les dĂ©sastres de l’amour-propre. La princesse Toute-Belle constitue le parfait modĂšle d’une victime de l’amour de soi. Serpentin Vert, qui constitue un diptyque avec Le Nain Jaune, participe plus nettement encore de cette condamnation des vanitĂ©s et de la frivolitĂ© de ces cours promptes Ă  exclure de leur sein le vieux, les laids, et tous ceux qui ne se conforment pas au programme d’exquis raffinement en vigueur dans ce milieu “privilĂ©giĂ©â€ “Il ne faut Ă  votre Cour que de jolies personnes, bien faites et bien magnifiques comme sont mes sƓurs”, constate amĂšrement Magotine face Ă  la vaniteuse mĂšre de Laideronette. Parmi les sƓurs de Magotine, toutes ne sont pas si belles y figure aussi la farceuse Carabosse, qui joue des tours pendables aux parents de PrintaniĂšre et s’ingĂ©nie surtout Ă  introduire la pensĂ©e de la mort au sein de la fĂȘte, comme un crĂąne dans une peinture de VanitĂ© chouettes, corbeaux et â€œĂ©charpe noire” de “triste prĂ©sage” p. 141 viennent miner les plaisirs et rappeler, Ă  la maniĂšre de Pascal, que le divertissement continu ne saurait ĂȘtre le secret du bonheur, car il est toujours susceptible d’ĂȘtre interrompu, et qu’alors on retrouve la conscience de sa mortalitĂ© “ Sortez dehors et cherchez le bonheur en un divertissement.’ Et cela n’est pas vrai, les maladies viennent.” PensĂ©es, S. 26. Chez d’Aulnoy comme dans les PensĂ©es, un roi privĂ© de divertissement devient un homme plein de misĂšre – et une reine Ă©galement “à cette lugubre vision, tout le monde se mit Ă  pleurer, et la reine, plus affligĂ©e que personne, voulut arracher l’écharpe noire ; mais elle semblait clouĂ©e sur les Ă©paules de sa fille” p. 141. Pour quelques rĂ©flexions complĂ©mentaires sur notre conteuse “à la lisiĂšre de la littĂ©rature morale”, voir ici Sur la vision dĂ©sabusĂ©e et sombre qui se dĂ©gage des contes de Perrault, voir les billets correspondant ici et ici C. La comĂ©die sociale Madame d’Aulnoy et Perrault ne se contentent pas de cĂ©lĂ©brer la magnificence de l’univers dĂ©sƓuvrĂ© dans lequel les oisifs de la bonne sociĂ©tĂ© passent leur existence. Madame d’Aulnoy, certes noble, n’était probablement que baronne, le plus bas degrĂ© dans la hiĂ©rarchie aristocratique ; joueuse, endettĂ©e, elle n’était pas riche ; et le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’a pas passĂ© le plus clair de sa vie d’un salon Ă  l’autre du Marais elle n’ignorait rien des vicissitudes du monde rĂ©el. Quant Ă  Perrault, il a Ă©tĂ© victime d’une retraite forcĂ©e par dĂ©cision du roi, disgrĂące politique complĂšte doublĂ©e pour lui d’une trĂšs mauvaise affaire financiĂšre. Il ne faudrait pas s’étonner si ces deux auteurs glissaient quelques piques Ă  l’encontre du monde comme il va, et de la sociĂ©tĂ© louis-quatorzienne qui, de diffĂ©rentes façons, les a tous deux marginalisĂ©s. Mieux que quiconque, ils perçoivent les jeux complexes de la comĂ©die sociale. Partout, sous les frontons des palais et l’évocation des divertissements curiaux, percent la corruption et les intrigues. Nulle part le théùtre du monde n’est mieux mis en Ă©vidence que dans “Le Chat bottĂ©â€ dans ce monde Ă  l’envers carnavalesque, n’importe quel animal, adoubĂ© par le port d’une paire de bottes, peut se tailler une place Ă  la cour et devenir grand seigneur, pour peu qu’il soit rusĂ© et intrigant. AidĂ© par de tels serviteurs, n’importe quel meunier empotĂ© peut apprendre les rĂšgles du jeu de sĂ©duction, et Ă©pouser la princesse. Le roi cherche Ă  connaĂźtre “les dedans” du chĂąteau de l’ogre p. 242 sage prĂ©caution sans doute de ne pas se contenter des façades, mais que ne s’inquiĂšte-t-il de mĂȘme de l’identitĂ© rĂ©elle de son futur gendre, dissimulĂ©e par les dehors d’un habit qu’il lui a lui-mĂȘme donnĂ© ? La leçon, ironique, rejoint celle des moralistes qui dĂ©nonçaient ce monde oĂč les laquais pouvaient devenir de grands financiers. Le meunier est de la race de ce Sosie dĂ©crit par La BruyĂšre Sosie de livrĂ©e a passĂ© par une petite recette Ă  une sous-ferme ; et par les concussions, la violence, et l’abus qu’il a fait de ses pouvoirs, il s’est enfin, sur les ruines de plusieurs familles, Ă©levĂ© Ă  quelque grade. Les CaractĂšres, chapitre 6, “Des Biens de la Fortune” 15. C’est aussi Ă  une paire de bottes, certes magiques, mais cette fois volĂ©es, que le Petit Poucet doit de “bien faire sa cour”. Mais que fait ce parfait courtisan pour faire figure de modĂšle cortegiano accompli ? Il achĂšte des titres de noblesse Ă  prix d’argent, participant ainsi Ă  la ruine des valeurs nobiliaires et du socle mĂȘme sur lequel repose la sociĂ©tĂ© d’Ancien RĂ©gime. DĂ©saveu cinglant de la morale courtoise et chevaleresque que Perrault et ses amies prĂ©tendaient restaurer dans l’esprit des troubadours. Du point de vue axiologique, le Moyen-Âge est bien un “temps passĂ©â€ le pouvoir dĂ©sormais ne rĂ©compense plus les preux chevaliers, ou les amoureux constants, mais les chevaliers d’industrie, les voleurs, les intrigants entremetteurs de passions illicites. Au terme du recueil de Perrault, l’argent-roi seul triomphe, au dĂ©triment des vieilles valeurs aristocratiques exaltĂ©es naguĂšre dans la figure du prince de “La Belle au bois dormant”. La rĂ©alitĂ© l’emporte, l’opportunisme sort seul victorieux. La cour n’est plus que le théùtre d’un siĂšcle corrompu. Elle fait chez Madame d’Aulnoy l’objet d’une critique rĂ©currente. Les rois y succombent Ă  l’influence des flatteurs Avenant est la victime des “envieux qui Ă©taient fĂąchĂ©s que le roi lui fĂźt du bien”; dans “Belle-Belle”, c’est la reine qui perfidement enjoint son frĂšre d’envoyer FortunĂ© regagner leurs possessions perdues. Les souverains sont plus que tous les autres les jouets de leurs passions la haine de Brun pour son fils et le mauvais mariage qu’il lui prĂ©pare mettent en pĂ©ril sa succession. La cour n’y est jamais le lieu apaisĂ© oĂč le roi pourrait recevoir de bons conseils politiques. Dans “Serpentin vert”, Ă  travers le peuple des Pagodes, Madame d’Aulnoy met en scĂšne le rire qu’inspire le spectacle du monde comme il va des traitĂ©s de paix, des ligues pour faire la guerre, trahisons et ruptures d’amants, infidĂ©litĂ©s de maĂźtresses, dĂ©sespoirs, raccommodements, hĂ©ritiers déçus, mariages rompus, vieilles veuves qui se remariaient fort mal Ă  propos, trĂ©sors dĂ©couverts, banqueroutes, fortunes faites en un moment, favoris tombĂ©s, siĂšges de places, maris jaloux, femmes coquettes, mauvais enfants, villes abĂźmĂ©es. Le regard de la conteuse s’étend ici bien au-delĂ  des seuls cercles de “privilĂ©giĂ©s”. Cette contemplation est un spectacle d’une autre sorte, que les Pagodes considĂšrent avec l’Ɠil de DĂ©mocrite, chez qui le regard portĂ© sur la comĂ©die humaine dĂ©clenchait un rire amer et railleur. Comme il ne nous est pas permis de rire ni de parler dans le monde, et que nous y voyons faire sans cesse des choses toutes risibles, et des sottises presque intolĂ©rables, l’envie d’en railler est si forte que nous en enflons, et c’est proprement une hydropisie de rire. Enfin, la dĂ©nonciation de la comĂ©die sociale, si elle vise au premier chef le monde curial dans lequel Ă©voluent conteuses et conteurs, possĂšde une portĂ©e bien plus gĂ©nĂ©rale, qui s’étend bien au-delĂ  du petit cercle de privilĂ©giĂ©s salonniers et courtisans le Petit Chaperon rouge, le Petit Poucet, qui se dĂ©roulent dans un milieu paysan, contribuent aussi Ă  donner une dimension universelle Ă  la rĂ©flexion sociale et Ă©thique des contes. Entre fascination dĂ©licieuse pour l’apparat, et le regard lucide et dĂ©senchantĂ© sur le monde tel qu’il est, se pourrait-il que le conte soit le lieu d’un rĂȘve, ou d’une nostalgie, d’un monde qui conjugue le spectaculaire avec l’aspiration Ă  la vĂ©ritĂ© et Ă  l’authenticitĂ© ? III. Des acteurs de bonne foi Les contes Ă©voquent le souvenir d’un “temps passĂ©â€ qui prĂ©cĂšde la fracture moderne entre les mots et les choses, l’essence et l’apparence. Les rĂ©cits rĂȘvent Ă  la coĂŻncidence de l’essence et de l’apparence, heureux Ăąge oĂč la transparence du cƓur pouvait justifier tous les chatoiements du visible, oĂč le paraĂźtre pouvait ĂȘtre l’expression sincĂšre du for intime. A. Les personnages silĂšnes Si qualitĂ©s physiques et qualitĂ©s de l’ñme se recoupent souvent dans les contes, il arrive aussi que l’habit ne fasse pas le moine, ni le vĂȘtement d’apparat, le prince. Ainsi, les belles Ăąmes de Torticolis et Trognon ne reçoivent pas d’abord une enveloppe corporelle bien avenante – et Riquet, si l’on en croit le commentaire du conteur, ne la recevra peut-ĂȘtre jamais, en dĂ©pit de son grand cƓur p. 282. A dĂ©faut d’une impossible mĂ©tamorphose fĂ©erique, l’anamorphose opĂ©rĂ©e par un changement de point de vue assure la cohĂ©rence de l’ĂȘtre et du paraĂźtre. Ces personnages Ă  la fois laids et comblĂ©s de vertus, qui dĂ©tonnent dans l’univers des contes, renvoient Ă  une longue tradition morale et philosophique, celle du SilĂšne, laide statue contenant Ă  l’intĂ©rieur des figurines de dieux. L’image vient de Platon Alcibiade l’utilise pour pour dĂ©crire Socrate Le Banquet, 215 b. Le silĂ©nisme renaĂźt Ă  la Renaissance et devient un motif humaniste. On le trouve dans un adage d’Erasme “Les silĂšnes d’Alcibiade” avant de le rencontrer dans le prologue de Gargantua, puis encore chez le Socrate de La BruyĂšre. La prĂ©sence de personnages silĂ©niques dans les contes vient fracturer l’habituelle correspondance entre Ă©lĂ©gance physique et qualitĂ©s morales, et miner l’idĂ©al d’une perfection harmonieuse et conjointe du corps et de l’esprit. La laideur peut cohabiter avec la bontĂ©, et mĂȘme constituer un chemin vers la vertu, par exemple chez Laideronnette dans “Serpentin Vert”. Le silĂ©nisme nous invite Ă  nous dĂ©fier des apparences trompeuses et Ă  ne pas s’en tenir aux apparences mensongĂšres. Socratique ou chrĂ©tien, il vient sourdement travailler l’idĂ©al mondain et curial du triomphe des apparences. Faut-il conclure que les conteurs cherchent Ă  rĂ©tablir subrepticement une vision dualiste de l’homme et du monde ? Seraient-ils des crypto-moralistes dĂ©guisĂ©s en galants ? Leur position est plus complexe. Nos silĂšnes fĂ©eriques reçoivent toujours, d’une façon ou d’une autre, la marque corporelle de leur supĂ©rioritĂ© intĂ©rieure Torticolis devient Sans-Pair, Trognon Brillante, Laideronnette DiscrĂšte. Le silĂ©nisme n’est qu’une Ă©tape dans un parcours qui inscrit toujours dans l’identitĂ© physique le signe de la beautĂ© de l’ñme. B. Cendrillon le rĂȘve de la transparence. Si, dans l’univers des conteuses, l’on ne saurait jamais se satisfaire de qualitĂ©s cachĂ©es et dissimulĂ©es aux yeux du monde, c’est que les vertus ne sauraient demeurer cachĂ©es toujours sous le boisseau elles doivent apparaĂźtre au grand jour pour se faire voir et admirer. La cour, considĂ©rĂ©e souvent avec mĂ©fiance par Madame d’Aulnoy, apparaĂźt plus volontiers chez Perrault comme un lieu de distinction et de reconnaissance. Les bonnes qualitĂ©s de Cendrillon restent inconnues de tous tant qu’elle demeure parmi les cendres du foyer, recroquevillĂ©e sur le souvenir de sa mĂšre. L’intervention de sa marraine lui permet de pĂ©nĂ©trer dans un lieu propre Ă  rĂ©vĂ©ler sa vĂ©ritable identitĂ© inutiles dans sa demeure, ses qualitĂ©s d’honnĂȘtetĂ© et de civilitĂ© la font reconnaĂźtre aussitĂŽt qu’elle paraĂźt Ă  la cour. Sur la civilitĂ© de Cendrillon, comme naturellement maĂźtresse de l’art de plaire Ă  la cour, je me permets de renvoyer Ă  cet article “La bonne grĂące” cĂ©lĂ©brĂ©e dans la moralitĂ©, qualitĂ© labile, donnĂ©e comme naturelle mais en rĂ©alitĂ© fruit d’un apprentissage, devient le point d’articulation entre l’ĂȘtre et le paraĂźtre. C’est en elle que s’accomplit cette fusion merveilleuse des qualitĂ©s du corps, de l’esprit et de l’ñme “C’est ce qu’à Cendrillon fit avoir sa Marraine, En la dressant, en l’instruisant, Tant et si bien qu’elle en fit une reine Car ainsi sur ce conte on va moralisant.”. Cendrillon est une comĂ©dienne assez impĂ©nĂ©trable, qui Ă  la cour joue sa partition, mais le texte nous assure que, “aussi bonne que belle” p. 269, elle est une actrice de bonne foi lorsqu’elle se comporte avec une exquise civilitĂ© chez le prince, partageant avec ses soeurs oranges et citrons, elle manifeste, Ă  travers la maĂźtrise des codes de la cour, la puretĂ© de son coeur. La pantoufle de verre devient l’emblĂšme de cet idĂ©al de transparence qui rappelle le rĂȘve de Castiglione la cour, telle qu’elle apparaĂźt dans Le Livre du Courtisan, consacre les valeurs de raffinement, de sprezzatura, d’intelligence, propres Ă  faire du courtisan le meilleur et le plus utile serviteur de son prince, tout en participant pleinement aux agrĂ©ments de la vie de cour. “Les contes du temps passĂ©â€, lorsqu’ils ne sont pas trop dĂ©sabusĂ©s par les dĂ©sordres du siĂšcle, se prennent encore Ă  songer avec nostalgie Ă  cet idĂ©al curial qui ne se rĂ©sume pas Ă  un triomphe du paraĂźtre, mais tend Ă  couronner les vĂ©ritables vertus. C. L’interprĂ©tation des signes Au fond, il n’y a pas de tromperie absolue au pays des contes on arrive toujours Ă  deviner le fond de l’ĂȘtre, pour Madame d’Aulnoy comme pour La BruyĂšre. Encore faut-il ĂȘtre capable de reconnaĂźtre la vĂ©ritĂ© sous les habits et les dĂ©guisements. La maĂźtrise des signes, et de l’art de les interprĂ©ter, occupe une place centrale dans ce dispositif. Charles-Olivier Stiker-MĂ©tral explique, dans un essai encore Ă  paraĂźtre sur La Rochefoucauld, que les moralistes Ă©taient avant tout des sĂ©miologues qui s’interrogeaient sur les causes de notre incapacitĂ© Ă  lire correctement les signes c’est le mĂȘme souci hermĂ©neutique qu’on retrouve dans nos rĂ©cits fĂ©eriques. Tous les personnages ne sont pas d’habiles sĂ©mioticiens, et leurs malheurs rĂ©sultent souvent de leur incapacitĂ© Ă  lire correctement les signes. Le Roi Charmant, qui confond Florine et Truitonne, n’est pas un bon dĂ©chiffreur ; le roi Brun, aveuglĂ© par la laideur de son fils et de sa bru dĂ©signĂ©e, non plus. La “dame de qualitĂ©â€ hĂ©roĂŻne de la Barbe bleue dĂ©cide de nĂ©gliger le signe physique annonçant la monstruositĂ© de ce “fort honnĂȘte homme”. La mĂšre de DĂ©sirĂ©e ne comprend pas le sens allĂ©gorique de la mĂ©tamorphose en Ecrevisse de la fĂ©e, qui se retrouve rĂ©duite Ă  devoir le lui expliquer. A sa dĂ©charge, l’exercice de dĂ©chiffrement n’est pas toujours facile le marquis de Salusses, mĂ©lancolique et soupçonneux, Ă©choue Ă  reconnaĂźtre dans la douceur soumise de son Ă©pouse le reflet de sa puretĂ© et de son innocence. Les plus incompĂ©tents sont sans nul doute les ogres, ĂȘtres “sauvages” selon une didascalie du manuscrit de 1695, incapables Ă  ce titre de dĂ©coder comme il fait. L’ogresse de “La Belle au bois dormant”, avisĂ©e en soupçonnant chez son fils “quelque amourette”, se laisse berner un peu plus loin par le gibier que lui sert le maĂźtre d’hĂŽtel ; l’ogre du Chat bottĂ© se laisse abuser sans mĂ©fiance. Celui du Petit Poucet est leurrĂ© par l’échange des couronnes et des bonnets. Quelques-uns sont plus habiles. Les fĂ©es dans “Les FĂ©es” ou dans “Belle-Belle” ne se trompent pas lorsqu’il s’agit de reconnaĂźtre une bonne Ăąme sous des dehors pauvres ou riches, masculins ou fĂ©minins. Le roi des Mines d’or reconnaĂźt la fĂ©e du DĂ©sert Ă  son pied fourchu, le seul endroit que le diable ne saurait dissimuler, conformĂ©ment Ă  la tradition. L’enjeu hermĂ©neutique ne concerne pas seulement les personnages, mais aussi le lecteur “Le conte nous invite constamment Ă  renverser les signes”, Ă©crivait avec justesse une Ă©tudiante. De ce point de vue, la seconde fin de Riquet peut apparaĂźtre comme une invitation Ă  lire au-delĂ  des apparences, ou plutĂŽt Ă  rĂ©gler son regard pour donner la prioritĂ© aux vertus intĂ©rieures. Les contes, cryptĂ©s, destinĂ©s Ă  exercer la “pĂ©nĂ©tration de ceux qui les lisent”, riches en allusions, dissimulant proverbes et sens grivois, constituent une pĂ©dagogie du dĂ©cryptage et une proposition adressĂ©e au lecteur, afin qu’il dĂ©ploie au sein du théùtre du monde une semblable perspicacitĂ©. A coup sĂ»r, Perrault et Aulnoy sont encore marquĂ©s par le souvenir des humanistes et des moralistes de ce point de vue, ils regardent vers le passĂ© bien plus qu’ils ne prĂ©parent l’avĂšnement du siĂšcle suivant, dont les contes seront plus ouvertement parodiques, ironiques, et libertins. Conclusion Affirmer que l’axiologie n’est fondĂ©e que sur l’exaltation des apparences est insuffisant. Il ne s’agit pas non plus de faire de Perrault ou d’Aulnoy des “moralistes” au mĂȘme titre que Pascal ou La BruyĂšre, mais de tenir compte au moins d’une rĂ©flexion Ă  caractĂšre Ă  tout le moins social, sans exclure de rĂ©els enjeux anthropologiques. Ce sont les conditions de la sociabilitĂ©, d’un vivre-ensemble, auxquelles songent conteuses et conteurs, qui nourrissent encore le rĂȘve d’une transparence dans une sociĂ©tĂ© rĂ©gie par une harmonie entre l’ĂȘtre et le paraĂźtre un théùtre de vĂ©ritĂ©, mais Ă  destination de lecteurs clairvoyants, sans illusions, capables de dĂ©crypter le double jeu et le double langage permanent chez les acteurs de la grande comĂ©die humaine. Ces Ă©lĂ©ments de corrigĂ© doivent beaucoup aux Ă©changes avec Constance Cagnat et Laurence Plazenet, que je remercie vivement. La mode des contes de fĂ©es 1685-1700, Champion, 1928. [↩] Le site de ressources de l’Education nationale consacre Ă  ce topos un dossier consultable ici . On pourra aussi consulter Le Théùtre du monde de Frances Yates, publiĂ© pour la premiĂšre fois en 1969 et traduit en 2019 par Boris DonnĂ©, aux Ă©ditions Allia. [↩] Sur ce genre en vogue dans les annĂ©es 1620-1630, inspirĂ© par le succĂšs de L’Aminte du Tasse, on se reportera par exemple Ă  l’article de Daniela Della Valle, ici [↩] Voir CircĂ© et le paon. La littĂ©rature de l’ñge baroque en France, Corti, 1953. [↩] Contes des fĂ©es par Perrault, Mme d’Aulnoy, Hamilton
, Paris, Garnier frĂšres seconde moitiĂ© XIXe siĂšcle Toute la vallĂ©e Ă©tait d’une seule glace de miroir. Il y avait autour plus de soixante mille femmes qui s’y miraient avec un plaisir extrĂȘme, car ce miroir avait bien deux lieues de large et six de haut chacune s’y voyait selon ce qu’elle voulait ĂȘtre. La rousse y paraissait blonde, la brune avait les cheveux noirs, la vieille croyait ĂȘtre jeune, la jeune n’y vieillissait point ; enfin, tous les dĂ©fauts y Ă©taient si bien cachĂ©s, que l’on y venait des quatre coins du monde. Il y avait de quoi mourir de rire, de voir les grimaces et les minauderies que la plupart de ces coquettes faisaient. Cette circonstance n’y attirait pas moins d’hommes ; le miroir leur plaisait aussi. Il faisait paraĂźtre aux uns de beaux cheveux, aux autres la taille plus haute et mieux prise, l’air martial et meilleure mine. L’Oiseau bleu, p. 122-123 Les lectrices et lecteurs d’Harry Potter reconnaissent aussitĂŽt dans ce passage de L’Oiseau bleu une prĂ©figuration du Mirror of Erised, en français le “Miroir du Rised”, qui montre Ron comme un beau jeune homme, de surcroĂźt capitaine de l’équipe de Quidditch, tandis qu’Harry contemple son reflet entourĂ© par une famille aimante. Comme les personnages de Madame d’Aulnoy, le jeune hĂ©ros ne peut dĂ©tacher ses yeux de ce spectacle qui donne un sentiment rĂ©el de bonheur, quoique provisoire et fondĂ© sur une illusion. Ron devant le miroir du Rised. Fan Art source hpstuffstumblr Il est difficile de savoir si Rowling s’est inspirĂ©e de Madame d’Aulnoy Ă©tant donnĂ© le succĂšs de la conteuse outre-Manche, et de la culture française dont dispose la romanciĂšre, le fait n’est pas complĂštement invraisemblable. Il fait peu de doute en revanche que Madame d’Aulnoy ait songĂ© aux moralistes de son temps en dĂ©crivant ce miroir. Rappelons que les “moralistes”, dont les plus cĂ©lĂšbres furent La Rochefoucauld, Pascal, La BruyĂšre, mais auxquels on peut associer MoliĂšre et La Fontaine, n’étaient en rien des censeurs qui faisaient la morale, mais bien plutĂŽt des observateurs dĂ©sabusĂ©s des mƓurs et des dysfonctionnements sociaux de leur temps. Ces auteurs se mettaient en demeure de dĂ©voiler la corruption universelle, mais sans beaucoup d’espoir de rĂ©ellement pouvoir rĂ©former les hommes, trop aveuglĂ©s sur leurs propres dĂ©fauts, ni changer la sociĂ©tĂ©, fondĂ©e sur le mensonge et l’intĂ©rĂȘt. A la fin du XVIIe siĂšcle, le genre moral Ă©tait Ă  son apogĂ©e La BruyĂšre, dont les CaractĂšres connurent un succĂšs fulgurant depuis la premiĂšre Ă©dition en 1688, venait de mourir en 1696, peu avant la parution d’une neuviĂšme livraison de son Ɠuvre. La BruyĂšre Ă©tait farouchement partisan des Anciens, et avait beaucoup insistĂ© sur la mission premiĂšre de la littĂ©rature l’instruction morale, le plaisir du texte Ă©tant selon lui subordonnĂ© Ă  la dimension rĂ©flexive et critique la littĂ©rature. [Le lecteur] peut regarder avec loisir ce portrait que j’ai fait de lui d’aprĂšs nature, et s’il se connaĂźt quelques-uns des dĂ©fauts que je touche, s’en corriger. C’est l’unique fin que l’on doit se proposer en Ă©crivant, et le succĂšs aussi que l’on doit moins se promettre ; mais comme les hommes ne se dĂ©goĂ»tent point du vice, il ne faut pas aussi se lasser de leur reprocher [
] On ne doit parler, on ne doit Ă©crire que pour l’instruction ; et s’il arrive que l’on plaise, il ne faut pas nĂ©anmoins s’en repentir, si cela sert Ă  insinuer et Ă  faire recevoir les vĂ©ritĂ©s qui doivent instruire. La BruyĂšre, Les CaractĂšres, “prĂ©face” Les Modernes pouvaient nĂ©cessairement s’inquiĂ©ter. Il leur fallait Ă©viter de laisser aux Anciens le monopole de la vertu. Les Modernes avaient en effet la rĂ©putation de promouvoir une littĂ©rature frivole, mondaine, salonniĂšre. Cette “France galante” pour reprendre le titre d’Alain Viala dĂ©jĂ  citĂ© goĂ»tait l’opĂ©ra, le roman, la poĂ©sie de circonstance ; elle se dĂ©lectait des belles histoires d’amour, des sĂ©ductions de la musique et des spectacles Ă  effets spĂ©ciaux ce qu’on appelait les “machines”. Bref, elle pouvait sembler promouvoir un art et une littĂ©rature de divertissement, indĂ©pendante de tout enjeu moral ou religieux. Boileau et ses amis avaient beau jeu de reprocher aux Modernes l’inanitĂ© d’une littĂ©rature qui ne visait qu’à l’agrĂ©ment et au badinage enjouĂ©, et dont la plus haute prĂ©occupation se bornait Ă  dissĂ©quer les mĂ©andres du cƓur amoureux. Il pouvaient aisĂ©ment passer pour des amuseurs. A la lumiĂšre de la Querelle, nous comprenons mieux pourquoi Perrault, dans les diffĂ©rentes prĂ©faces des contes, revendique si haut la parfaite moralitĂ© de ses Ɠuvres, qu’il oppose Ă  dessein au plus badin des Anciens, La Fontaine. Le cas de Perrault est en rĂ©alitĂ© trĂšs complexe ses textes en prose, assortis de moralitĂ©s dĂ©calĂ©es, sont fort douteux au plan Ă©thique, au point qu’ils paraissent contredire les protestations de foi en faveur des bonnes mƓurs l’éloge du cynisme et de l’arrivisme dans “Cendrillon” ou “Le Chat bottĂ©â€, ou le sort rĂ©servĂ© Ă  l’innocent Chaperon, ne peuvent dĂ©cemment pas ĂȘtre envisagĂ©s comme des preuves incontestables de la supĂ©rioritĂ© morale de ces prĂ©tendus contes de vieille sur PsychĂ© ou la Matrone d’EphĂšse. Sauf Ă  considĂ©rer la morale comme l’acceptation du monde comme il va, et l’habiletĂ© Ă  y tracer efficacement son chemin c’est Ă  dire Ă  dĂ©finir la morale par son contraire. La question Ă©thique est-elle plus simple chez les autres conteurs et conteuses ? Toutes et tous n’étaient pas impliquĂ©s aussi directement que Perrault dans les polĂ©miques liĂ©es Ă  la Querelle, et par consĂ©quent n’éprouvaient pas la mĂȘme nĂ©cessitĂ© impĂ©rieuse de dĂ©fendre la moralitĂ© et l’utilitĂ© de leurs contes. Plusieurs assurĂ©ment ne se souciaient que de plaire Ă  leur public, Ă  des fins uniquement commerciales parfois trĂšs ouvertement assumĂ©es comme telles. Le Chevalier de Mailly, par exemple, auteur en 1698 des Illustres fĂ©es. Contes galants, dĂ©diĂ©s aux dames, donne dans une veine gentiment libertine, largement inspirĂ©e de Straparole et des Italiens, sans se soucier de conclure ses contes par des moralitĂ©s qui eussent dans ce contexte Ă©tĂ© fort inappropriĂ©es. Chez lui l’enjouement, le badinage, la gaietĂ©, valeurs galantes affirmĂ©es dĂšs le titre et la dĂ©dicace, rĂšgnent effectivement sans partage, et se passent de prĂ©textes moraux. Jean de PrĂ©chac, auteur de contes allĂ©goriques cĂ©lĂ©brant le roi et sa famille, affectait de pratiquer les lettres comme un mĂ©tier Ă  finalitĂ© alimentaire Comme j’ai remarquĂ© que la plupart de ceux qui achĂštent des livres demandent les plus nouveaux, j’en fais un toutes les semaines qui se dĂ©bite sur la nouveautĂ© de la date, et l’impression est quelquefois vendue avant qu’on se soit aperçu que le livre ne vaut rien. Jean de PrĂ©chac, La Valise ouverte A lire cette profession de foi, les contes de PrĂ©chac, comme ceux de Mailly, apparaissent dĂ©pourvus de portĂ©e morale ils sont des textes de pur divertissement, privĂ©s de toute autre autre ambition, et ne visent qu’au succĂšs Ă©ditorial auprĂšs du public du Mercure galant. Leurs auteurs ne songent pas Ă  lĂ©gitimer le genre en arguant comme Perrault de leur supĂ©rioritĂ© pĂ©dagogique ou de leur valeur critique. Chez les conteuses, ni Madame Durand ni Madame d’Auneuil ne terminent non plus leurs rĂ©cits par des moralitĂ©s. Celles-ci n’étaient donc en rien un impĂ©ratif catĂ©gorique voulu par le genre. Loin de lĂ , Straparole terminait les siens par un poĂšme en forme d’énigme Ă©quivoque et grivoise qui eussent passĂ© les biensĂ©ances dans la France du XVIIe siĂšcle finissant, et Basile par un court proverbe. On ne trouve bien sĂ»r pas non plus de moralitĂ©s explicites dans les contes de Boccace ni de La Fontaine. Qu’en est-il de Madame d’Aulnoy ? Quelle position occupait-elle dans la Querelle, Ă  s’y tenir aux indices textuels internes ? Son choix d’ajouter des moralitĂ©s constitue un premier signe de son parti pris moderne il participe comme chez Perrault d’une volontĂ© de donner des lettres de noblesse au genre mĂ©prisĂ© des “contes de vieilles”. Bien des indices intratextuels laissent entendre par ailleurs avec insistance l’allĂ©geance de notre conteuse Ă  la cause moderne la rivalitĂ© appuyĂ©e avec La Fontaine Ă  travers des reprises dĂ©calĂ©es de PsychĂ©, ou la concurrence systĂ©matique entre le merveilleux mĂ©diĂ©val et le merveilleux antique, mise en Ă©vidence par Nadine Jasmin, montrent que la querelle ne lui Ă©tait pas indiffĂ©rente. La prĂ©sence d’un roi-berger appelĂ© “Le Sublime” dans La Princesse Carpillon suggĂšre un dialogue avec cette catĂ©gorie centrale chez Boileau et violemment contestĂ©e par les Modernes. Mais pour ĂȘtre complĂšte, l’affirmation d’une posture moderne supposait que Madame d’Aulnoy s’emploie elle aussi Ă  travailler Ă  la lĂ©gitimation du genre qu’elle pratiquait. Et cette lĂ©gitimation passait d’autant plus nĂ©cessairement par la moralisation que le conte Ă©tait un genre plutĂŽt libre et Ă  ce titre suspect. Pour servir la cause, il Ă©tait stratĂ©gique que les contes galants de Madame d’Aulnoy fussent aussi des contes moraux. L’allĂ©geance de Madame d’Aulnoy Ă  la culture galante est aujourd’hui bien connue l’univers salonnier, les dĂ©corations rococo, les codes de la politesse mondaine, l’agrĂ©ment des conversations, tout rĂ©vĂšle une conteuse profondĂ©ment marquĂ©e par le mode de vie et les pratiques littĂ©raires de la haute sociĂ©tĂ© parisienne de la fin du XVIIe siĂšcle. En revanche, le rapport Ă©ventuel avec les moralistes du temps a finalement bien peu arrĂȘtĂ© les commentateurs. Nadine Jasmin, dans son livre Mots et Merveilles, consacre une vingtaine de pages Ă  cette question p. 267-290, et repĂšre nombre de liens entre la conteuse et les moralistes de son temps . Pour ceux qui l’ont suivi, Miriam Speyer a Ă©galement abordĂ© cette question dans le cours qu’elle donne au CNED. C’est Ă  leur suite que je voudrais poser la question d’une Ă©ventuelle proximitĂ© des contes de Madame d’Aulnoy avec la pensĂ©e et la dĂ©marche des moralistes. Le faste, la profusion, le luxe hyperbolique et le miroitement des apparences somptueuses pourraient-ils dissimuler des interrogations plus sĂ©rieuses sur la sociĂ©tĂ© et la nature humaine ? Quel est “l’envers du dĂ©cor”, pour reprendre une formule de Nadine Jasmin ? Op. cit., p. 267. L’une des notions clefs Ă  laquelle recourent les moralistes est celle d’amour-propre, issue de la thĂ©ologie de saint Augustin, dont l’influence a Ă©tĂ© si essentielle sur les auteurs de notre pĂ©riode. La Rochefoucauld le dĂ©finit ainsi “L’amour-propre est l’amour de soi-mĂȘme, et de toutes choses pour soi”1 . Aux yeux de ceux qu’on appelle “les classiques”, l’amour propre, au sens premier d’amour infini que chacun de nous porte Ă  sa propre personne, est une constante de la nature humaine et la racine de nos comportements. De cette trĂšs haute estime dans laquelle nous nous tenons nous-mĂȘmes dĂ©coule directement le dĂ©sir d’ĂȘtre aimĂ© et admirĂ© l’admiration d’autrui est une confirmation nĂ©cessaire de notre prĂ©tention Ă  ĂȘtre dignes d’amour. VanitĂ©, Ă©goĂŻsme et narcissisme sont donc, pour les classiques, les principales motivations psychiques qui gouvernent notre existence et dĂ©terminent notre vie morale, tout en nous rendant incapables d’altruisme sincĂšre seul l’intĂ©rĂȘt nous guide. Cet amour de nous-mĂȘme est si monstrueux, nous donnerait tant de raisons de nous haĂŻr plutĂŽt que de nous aimer, en un mot est si contraire Ă  lui-mĂȘme, qu’il tĂąche de rester dissimulĂ©. Nous le dĂ©guisons sous un extĂ©rieur honorable, car nous ne voulons pas nous laisser voir tels que nous sommes. Nous nous cachons donc derriĂšre des vertus d’apparence honneur, respectabilitĂ©, gloire, masquent ce “vilain fond de l’homme”, comme l’appelle Pascal telle est la sociĂ©tĂ© humaine, une comĂ©die des masques. La tĂąche des moralistes consiste Ă  dĂ©voiler ces faux-semblants, Ă  repĂ©rer les illusions, Ă  pointer l’hypocrisie gĂ©nĂ©ralisĂ©e sous les qualitĂ©s apparentes dont nous nous dĂ©guisons pour donner le change aux autres et Ă  nous-mĂȘmes. Or, “l’allĂ©gorisme moral” de la fĂ©erie classique, bien mis en Ă©vidence par Marc Fumaroli2 permet prĂ©cisĂ©ment de rendre perceptible cet amour propre qui reste invisible dans le monde rĂ©el. La notion d’amour-propre se prĂȘtait aisĂ©ment Ă  un traitement par le merveilleux. La Rochefoucauld le dĂ©crivait dĂ©jĂ  comme le sortilĂšge malĂ©fique d’un enchanteur “ses transformations passent celles des mĂ©tamorphoses”, “Chacune de ses passions a une espĂšce de magie qui lui est propre”1 . Les mauvaises passions sont “un charme victorieux [qui] entraĂźne”, Ă©crit de mĂȘme Pascal dans une Lettre Ă  Mademoiselle de Roannez datĂ©e de dĂ©cembre 1656. L’amour de soi se prĂȘtait ainsi trĂšs naturellement Ă  une mise en fiction, dont la version aulnĂ©sienne du Mirror of Erised citĂ©e plus haut donne un exemple le miroir est l’allĂ©gorie du propre amour tel que le dĂ©finissent La Rochefoucauld et Pascal, ou tel que le met en scĂšne La BruyĂšre dans le portrait de Lise, coquette quadragĂ©naire Nicolas RĂ©gnier, Jeune femme Ă  sa toilette, 1626. MusĂ©e des Beaux-Arts de Lyon ”les annĂ©es pour elle ont moins de douze mois, et ne la vieillissent point elle le croit ainsi ; et pendant qu’elle se regarde au miroir, qu’elle met du rouge sur son visage et qu’elle place des mouches, elle convient qu’il n’est pas permis Ă  un certain Ăąge de faire la jeune”. La BruyĂšre, Les CaractĂšres, chap. “Des femmes”, 8. Lise, aveuglĂ©e par l’amour-propre, ne voit dans son miroir qu’un reflet embelli au lieu de lui montrer le vrai, il nourrit son illusion. Dans L’Oiseau bleu, le merveilleux est utilisĂ© comme un artifice pour exhiber plus sensiblement que le miroir de Lise le mensonge de ces conseillers des grĂąces “fidĂšle conseiller”, dit le roi des Mines d’or, entiĂšrement au service du narcissisme. Le miroir magique manifeste ici Ă  quel point l’amour-propre “rend les hommes idolĂątres d’eux-mĂȘmes”, comme Ă©crit La Rochefoucauld. La fĂ©erie agit comme un rĂ©vĂ©lateur de l’amour-propre dont les moralistes dĂ©crivent au mĂȘme moment le fonctionnement. La magie devient un instrument d’optique morale elle sert Ă  rĂ©vĂ©ler la corruption du cƓur, et la ridicule folie des hommes. Suite des Contes nouveaux ou des FĂ©es Ă  la mode, Paris, Cie des Libraires, 1711 Cette magie Ă  valeur Ă©thique fonctionne de diffĂ©rentes façons chez notre conteuse. Elle peut rendre visible la laideur intĂ©rieure, comme dans “Le prince Marcassin”. Ce conte est une réécriture du “Roi porc” de Straparole, dont Madame d’Aulnoy suit d’assez prĂšs la trame narrative, mais en y introduisant des perspectives directement inspirĂ©es par les moralistes contemporains. Dans ce rĂ©cit, le hĂ©ros est maudit par une fĂ©e et condamnĂ© Ă  recevoir l’apparence d’un marcassin, appelĂ© avec moins d’ambages “cochon” dans la suite du rĂ©cit. Le porc est traditionnellement, par exemple chez Rabelais, le symbole de la philautie, forme renaissante de l’amour de soi dont l’amour-propre classique est l’hĂ©ritier direct. Chez Madame d’Aulnoy, l’apparence porcine du hĂ©ros coĂŻncide avec le fond de son cƓur c’est son amour-propre qui se laisse voir dans son corps animalisĂ©. Le merveilleux fait office de rĂ©vĂ©lateur d’une Ăąme qui reste habituellement invisible le motif topique et folklorique du fiancĂ© animal, bien reprĂ©sentĂ© dans les collectes et rĂ©pertoriĂ© sous le numĂ©ro AT 433, est ici mis au service d’une rĂ©flexion morale inscrite dans les perspectives littĂ©raires du temps. Marcassin souffre en effet trĂšs visiblement de tous les dĂ©fauts imputables au narcissisme pourchassĂ© par les moralistes. Il est par exemple atteint de la libido dominandi, une soif de dominer et de faire advenir tous ses dĂ©sirs “il avait le commandement absolu”. Il exprime Ă©galement avec naĂŻvetĂ© son dĂ©sir prĂ©somptueux d’ĂȘtre aimĂ© malgrĂ© sa laideur, dit-il, “il ne faut pas pour cela [l’]en trouver moins aimable”. Marcassin, comme allĂ©gorie de l’amour-propre, cherche Ă  dissimuler sa vraie nature, Ă  ses propres yeux et Ă  ceux des autres. L’amour propre, en effet, explique Pascal, “met tout son soin Ă  couvrir ses dĂ©fauts et aux autres et Ă  soi-mĂȘme, et [
] il ne peut souffrir qu’on les lui fasse voir ni qu’on les voie.” Pascal, PensĂ©es, fr. S. 743. Or, prĂ©cisĂ©ment, Marcassin fait ce qu’il peut pour cacher sa nature porcine et philautique Rhingrave jupon. Centre National du costume de scĂšne, ComĂ©die-Française Il se fit faire des rhingraves3 , des canons4 , un pourpoint parfumĂ©, car il avait toujours une petite odeur que l’on soutenait avec peine. Son manteau Ă©tait brodĂ© de pierreries, sa perruque d’un blond d’enfant, et son chapeau couvert de plumes. Il ne s’est peut-ĂȘtre jamais vu une figure plus extraordinaire que la sienne, et Ă  moins que d’ĂȘtre destinĂ©e au malheur de l’épouser, personne ne pouvait le regarder sans rire. “Le Prince Marcassin” AveuglĂ© par sa vanitĂ© jusqu’au ridicule, Marcassin tente en vain de dissimuler sa vraie nature corrompue en se parant de tenues de cour et se parfumant. Inutilement “car il avait toujours une petite odeur qu’on soutenait avec peine”. Il n’est pas sans faire songer Ă  ces fats dĂ©peints par La BruyĂšre, dont l’Ɠil perce assez facilement l’écorce d’élĂ©gance prĂ©tendue, ainsi PhilĂ©mon “L’or Ă©clate, dites-vous, sur les habits de PhilĂ©mon [
] il est habillĂ© des plus belles Ă©toffes [
] Tu te trompes, PhilĂ©mon, si, avec ce carosse brillant, ce grand nombre de coquins qui te suivent et ces six bĂȘtes qui te traĂźnent, tu penses que l’on t’en estime davantage ; l’on Ă©carte tout cet attirail qui t’est Ă©tranger pour pĂ©nĂ©trer jusqu’à toi qui n’est qu’un fat.” La BruyĂšre, “Du MĂ©rite personnel”, 27 Le conte merveilleux devient ici miroir, mais miroir de vĂ©ritĂ© qui met au jour le “vilain fond de l’homme”, tout de superbe et de bouffissure. Veuf une premiĂšre fois aprĂšs le suicide de sa premiĂšre Ă©pouse, mariĂ©e de force, notre Marcassin n’en devient que plus imbu de lui-mĂȘme et prĂ©tend Ă©pouser la sƓur de la dĂ©funte. A la reine sa mĂšre, qui le met en garde, il expose avec naĂŻvetĂ© la bonne opinion qu’il a de lui-mĂȘme “Je vous assure, madame, lui dit le prince Marcassin avec un air fanfaron, que vous ĂȘtes la seule qui pensiez si dĂ©savantageusement de moi. Je ne vois personne qui ne me loue, et qui ne me fasse apercevoir que j’ai mille bonnes qualitĂ©s.” “Le Prince Marcassin” dĂ©clare le prince, bien fat, et aisĂ©ment persuadĂ© par les flatteurs de sa cour. La reine lui rĂ©pond par un sermon qui manifeste qu’elle a lu ses moralistes “Tels sont les courtisans, dit la reine, et telle la condition des princes. Les uns louent toujours, les autres sont toujours louĂ©s. Comment connaĂźtre ses dĂ©fauts dans un tel labyrinthe ? Ha ! que les Grands seraient heureux, s’ils avaient des amis plus attachĂ©s Ă  leurs personnes qu’à leur fortune. — Je ne sais, madame, repartit Marcassin, s’ils seraient heureux de s’entendre dire des vĂ©ritĂ©s dĂ©sagrĂ©ables. De quelque condition qu’on soit, l’on ne les aime point. Par exemple, Ă  quoi sert que vous me mettiez toujours devant les yeux qu’il n’y a point de diffĂ©rence entre un sanglier et moi ? Que je fais peur, que je dois me cacher ? N’ai-je pas de l’obligation Ă  ceux qui adoucissent lĂ -dessus ma peine ? Qui me font des mensonges favorables, et qui me cachent les dĂ©fauts que vous ĂȘtes si soigneuse de me dĂ©couvrir ? “Le Prince Marcassin” Une fois de plus, Marcassin apparaĂźt comme la prosopopĂ©e de l’amour-propre, incarnant la haine de la vĂ©ritĂ© et l’illusion volontaire qui le caractĂ©risent. Marcassin est l’illustration du fragment 743 des PensĂ©es “Nous haĂŻssons la vĂ©ritĂ©, on nous la cache ; nous voulons ĂȘtre flattĂ©s, on nous flatte ; nous aimons Ă  ĂȘtre trompĂ©s, on nous trompe. [
] L’homme [
] ne veut pas qu’on lui dise la vĂ©ritĂ©â€. Pascal, PensĂ©es, fr. S. 743 Face Ă  l’amour-propre en personne, entichĂ© de lui-mĂȘme, la reine reprĂ©sente la figure du moraliste, dont le discours reste le plus souvent impuissant face Ă  la corruption du cƓur. Elle reste dĂ©sarmĂ©e, incapable de dessiller les yeux de son fils, rĂ©duite Ă  l’ironie et Ă  la satire pour seules et inutiles ressources “Ô source d’amour-propre, s’écria la reine, de quelque cĂŽtĂ© qu’on jette les yeux, on te trouve toujours. Oui, mon fils, vous ĂȘtes beau, vous ĂȘtes joli, je vous conseille encore de donner pension Ă  ceux qui vous en assurent.” “Le Prince Marcassin” La reine connaĂźt l’universalitĂ© de l’amour-propre, et n’ignore rien des mĂ©andres retors et tĂ©nĂ©breux du cƓur humain c’est un “labyrinthe”, dit-elle. “On ne peut sonder la profondeur, ni percer les tĂ©nĂšbres de ses abĂźmes”, Ă©crivait de mĂȘme La Rochefoucauld. C’est en fait toute la conversation entre la reine et le prince qui illustre la maxime 147 “Peu de gens sont assez sages pour prĂ©fĂ©rer le blĂąme qui leur est utile Ă  la louange qui les trahit”. L’échec de la reine Ă  ouvrir les yeux du prince illustre le risque de faillite de l’entreprise moraliste, face Ă  des ĂȘtres rĂ©tifs aux remontrances justifiĂ©es, qui prĂ©fĂšrent vivre dans l’illusion plutĂŽt que de reconnaĂźtre une vĂ©ritĂ© qui leur dĂ©plaĂźt. On le voit, le genre du conte se prĂȘte aisĂ©ment Ă  un usage moral tant par les codes psychologiques simples qui le rĂ©gissent que par les conventions du merveilleux, il permet l’exhibition sans fard d’un amour-propre qui ne saurait jamais se donner Ă  voir avec la mĂȘme franchise ni la mĂȘme nettetĂ© dans des nouvelles galantes soumises aux nĂ©cessitĂ©s de la vraisemblance. La reine, avec un humour amer, feint sans succĂšs d’entrer dans le jeu de la flatterie en vue d’en dĂ©noncer l’absurditĂ© le Marcassin n’en dĂ©mordra pas et Ă©pousera la seconde sƓur, qui trĂ©passera elle aussi aprĂšs avoir tentĂ© de tuer son mari la nuit mĂȘme de ses noces. Le narcissisme du prince s’accroĂźt jusqu’au troisiĂšme mariage, qui finira par le dĂ©barrasser de sa peau de marcassin. Les morts ressusciteront, le conte finira bien Ă  la faveur d’une fata ex machina, mais la possible guĂ©rison de l’amour-propre reste malgrĂ© tout incertaine le tour de passe-passe final n’est pas sans faire songer aux dĂ©nouements ambigus des comĂ©dies de MoliĂšre. La thĂ©matique de l’amour-propre et le traitement du prince en philaute sont absents du modĂšle italien ou des contes recueillis par les collectes elle correspond Ă  un parti pris personnel de la conteuse. Qu’en est-il des textes qui nous concernent plus directement ? Deux contes au caractĂšre moral affirmĂ© se rĂ©pondent, par les couleurs de leurs titres, et parce qu’ils sont insĂ©rĂ©s dans le mĂȘme rĂ©cit-cadre, “Le Nain Jaune” et “Serpentin Vert”. Seul le premier est inscrit dans notre programme, mais tous deux constituent un diptyque qui porte prĂ©cisĂ©ment sur la question de l’amour-propre, et par voie de consĂ©quence celle de l’éducation. Les deux contes sont insĂ©rĂ©s dans une nouvelle espagnole qui leur sert de cadre Don Fernand de TolĂšde, qui n’en comporte pas d’autre. Toute-Belle est, comme Marcassin, une incarnation de l’amour propre Ă©goĂŻste, cette belle indiffĂ©rente ne refuse les propositions de mariage que parce qu’elle est Ă©prise de sa propre personne vaniteuse, elle aime ĂȘtre l’objet d’attention de l’univers entier, semblable en cela Ă  PsychĂ© au dĂ©but du conte d’ApulĂ©e. Elle se fait littĂ©ralement idole, sous le dĂ©guisement de la dĂ©esse Diane elle aspire Ă  recevoir des hommages excessifs, qui ne sont dus qu’à une divinitĂ©, littĂ©ralement “des adorations“ “Les adorations qu’on avait pour elle ravissaient la reine ; il n’y avait point de jour qu’on ne reçût Ă  sa cour sept ou huit mille sonnets, autant d’élĂ©gies, de madrigaux et de chansons, qui Ă©taient envoyĂ©s par tous les poĂštes de l’univers. Toute-Belle Ă©tait l’unique objet de la prose et de la poĂ©sie des auteurs de son temps.” p. 215 On constate une nouvelle fois le rĂŽle de rĂ©vĂ©lateur des Ăąmes que joue le merveilleux les hyperboles invraisemblables qu’autorise le genre “sept ou huit mille sonnets” permettent de mettre en lumiĂšre le caractĂšre insatiable et infini de l’amour-propre. Ce tempĂ©rament naturel de la princesse est aggravĂ© par une Ă©ducation trop complaisante en cĂ©dant aux caprices de sa fille, la mĂšre de Toute-Belle a flattĂ© sa vanitĂ© et son orgueil. La suite du conte montrera les funestes consĂ©quences de ce mauvais dĂ©part. Trahison de la parole donnĂ©e et jalousie seront des marques de ces mauvaises dispositions. Le roi des Mines d’or, qui accorde des largesses inconsidĂ©rĂ©es p. 224, trompe la fĂ©e du DĂ©sert en se mettant des mouches p. 230, et dissipe des nymphes Ă  coups d’épĂ©e p. 236, n’est guĂšre un modĂšle d’hĂ©roĂŻsme non plus. On voit ici la vĂ©ritable fonction des opposants, et les nuances qu’il convient peut-ĂȘtre d’apporter au schĂ©ma de Propp leur rĂŽle est moins d’agresser et de provoquer un mĂ©fait que de participer Ă  cette tĂąche de dĂ©voilement qui est le propre du travail du moraliste. Le Nain jaune permet de mettre au jour, par son intervention, la faiblesse et la lĂąchetĂ© des deux hĂ©roĂŻnes, qui commettent la double faute d’accepter son marchĂ© avant de le renier plus tard. Ce parjure est une infraction majeure aux codes nobiliaire, courtois et chevaleresque, comme le fait remarquer la fĂ©e du DĂ©sert “Ho ! Ho ! Reine ! Ho ! Ho ! Princesse ! Vous prĂ©tendez donc fausser impunĂ©ment la parole que vous avez donnĂ©e Ă  mon ami le Nain Jaune ?” p. 224. La fĂ©e du DĂ©sert rĂ©vĂšle aussi la propension au mensonge et Ă  la dissimulation du roi des Mines d’or. Le conte connaĂźtra nĂ©anmoins un heureux dĂ©nouement, d’une certaine façon in extremis, les deux hĂ©ros vont dĂ©couvrir l’amour sincĂšre et altruiste, en acceptant mutuellement de se sacrifier l’un pour l’autre. “Laissez-moi, ma princesse, la consolation de mourir pour vous. — Je consens plutĂŽt, dit-elle au nain, Ă  ce que vous souhaitez.” Cette conversion finale leur vaudra une apothĂ©ose qui les rĂ©unira au-delĂ  de la mort, une fois changĂ©s en palmiers “conservant toujours un amour fidĂšle l’un pour l’autre, ils se caressent de leurs branches entrelacĂ©es, et immortalisent leurs feux par leur tendre union.” p. 238 Ce rĂŽle de rĂ©vĂ©lateur jouĂ© par les crĂ©atures enchantĂ©es s’étend dans les autres contes de notre corpus le cas le plus emblĂ©matique est celui de la fĂ©e Carabosse, dont la rĂ©putation lĂ©gendaire de mĂ©chancetĂ© est contredite par la rĂ©alitĂ© de ses mĂ©faits, simples malices ou mauvaises farces, les vrais ennuis de PrintaniĂšre n’étant causĂ©s que par ses propres passions et son intempĂ©rance Carabosse donne indirectement l’occasion Ă  PrintaniĂšre de basculer dans la dĂ©sobĂ©issance en Ă©coutant ses seules passions, sans que son amourette pour Fanfarinet puisse ĂȘtre imputĂ©e Ă  ses enchantements. Mais on peut surtout opposer Toute-Belle Ă  son pendant, Laideronnette, hĂ©roĂŻne de “Serpentin Vert” Ă  la toute belle s’oppose la toute laide. Le conte commence par une scĂšne des dons en apparence conventionnelle une reine convie les fĂ©es au baptĂȘme de sa fille, mais par mĂ©garde en oublie une, Magotine, vieille et revĂȘche. Celle-ci se venge d’avoir Ă©tĂ© maltraitĂ©e “je te doue, dit-elle, d’ĂȘtre parfaite en laideur”, puis elle s’échappe comme MĂ©lusine autrefois, en passant par une fenĂȘtre. Ses consƓurs tentent alors de rassurer la reine en lui promettant le bonheur de sa fille, ce qui ne satisfait pas complĂštement cette mĂšre Ă©plorĂ©e “Elles tinrent un grand conseil et lui dirent ensuite d’écouter moins sa douleur, parce qu’il y avait un temps marquĂ© oĂč sa fille serait fort heureuse. Mais, interrompit la reine, deviendra-t-elle belle ? – Nous ne pouvons, rĂ©pliquĂšrent-elles, nous expliquer davantage.’ ” “Serpentin Vert” Raymonde Robert considĂšre la scĂšne des dons comme un incipit topique, et mĂȘme dĂ©finitoire du conte de fĂ©es littĂ©raire français. Mais lorsqu’on regarde le dĂ©tail du texte, on s’aperçoit que cet Ă©pisode inaugural n’est en rien interchangeable avec ceux qui ouvrent par exemple “La Belle au bois dormant” ou “La Princesse PrintaniĂšre”. Il met ici en place les conditions d’une dĂ©nonciation de la culture galante, condamnĂ©e pour sa frivolitĂ© au profit de valeurs plus solides d’abnĂ©gation et de sacrifice. L’intervention de Magotine, toute mĂ©chante qu’elle est, se rĂ©vĂšle en effet une chance objective pour l’hĂ©roĂŻne d’échapper Ă  l’éducation dorĂ©e qu’elle n’eĂ»t pas manquĂ© de recevoir et qui eĂ»t fait d’elle une autre Toute-Belle, vaniteuse et autocentrĂ©e, attachĂ©e comme sa mĂšre aux seules apparences la beautĂ© de sa fille est est plus importante Ă  ses yeux que son bonheur. Magotine ne manque pas de dĂ©noncer sans ambages la superficialitĂ© de la reine, son jeunisme, sa fascination pour le brillant extĂ©rieur “il ne faut Ă  votre Cour que de jolies personnes, bien faites et bien magnifiques comme sont mes sƓurs pour moi, je suis trop laide et trop vieille”. RĂ©primande cruelle, mais juste, dans laquelle on pourrait voir la marque d’un soupçon pesant sur l’ensemble de la galanterie aulnĂ©sienne. Magotine reproche Ă  la reine un fĂ©minisme sĂ©lectif, qui manque si l’on veut d’intersectionnalitĂ© une femme laide et ĂągĂ©e ne saurait ĂȘtre qu’une vieille sorciĂšre Ă  maintenir hors de la sphĂšre curiale. Cette dĂ©bauche de jolies nymphes, de princes tout parĂ©s de pierreries, cette cĂ©lĂ©bration de la jeunesse amoureuse sont minĂ©es par les vieilles fĂ©es acariĂątres mais qui peuvent Ă©noncer des vĂ©ritĂ©s, comme Magotine, ou Ecrevisse “belle petite vieille”, dont l’air est “galant”, mais enfin vite oubliĂ©e par la reine qui lui prĂ©fĂšre Tulipe et ses amies, “les plus belles et les plus magnifiques qui aient jamais paru” dans l’empire des fĂ©es p. 240-241. La reine aussi paiera chĂšre sa nĂ©gligence, pour avoir cĂ©dĂ© Ă  la sĂ©duction des apparences, et mĂ©prisĂ© les personnes ĂągĂ©es p. 245. Dans “Le Serpentin Vert”, loin d’infliger un chĂątiment, Magotine rend Ă  la princesse le plus signalĂ© des services en la douant de la laideur “parfaite”. Le prĂ©tendu “mĂ©fait” dĂ©termine un itinĂ©raire qui permettra Ă  l’hĂ©roĂŻne d’échapper aux griffes de l’amour de soi auquel semblait devoir la condamner sa condition princiĂšre. Laideronnette, rejetĂ©e de la sociĂ©tĂ© curiale, comprend vite qu’elle n’a pas sa place dans un monde oĂč seule la splendeur et la gaietĂ© ont droit de citĂ©. Elle demande donc Ă  quitter le palais et Ă  rejoindre le “chĂąteau des Solitaires”. On songe au dĂ©sert d’Alceste, mais aussi aux Granges de Port-Royal c’est un lieu Ă©cartĂ© oĂč l’hĂ©roĂŻne peut vivre loin de l’hypocrisie des cours et de la folie du monde. A l’écart de la “magnificence et de la galanterie”, Laideronnette vit paisiblement dans une solitude studieuse oĂč la pratique des arts accompagne la formation de l’esprit Anne Vallayer-CosterAttributs de la musique1770. La peintre est parfois considĂ©rĂ©e comme reprĂ©sentative d’un “rococo” pictural “La princesse jouait des instruments et chantait divinement bien ; elle demeura deux ans dans cette agrĂ©able solitude, oĂč elle fit mĂȘme quelques livres de rĂ©flexions”. “Serpentin Vert” Aux milliers de sonnets galants reçus passivement par la princesse du “Nain Jaune”, s’opposent les plus solides rĂ©flexions que cette jeune fille intelligente et pleine d’esprit compose elle-mĂȘme dans sa retraite. La princesse, rejetĂ©e par sa famille, passe ainsi ses annĂ©es de formation loin du monde et du bruit, volontairement Ă©loignĂ©e de la corruption des cours. Elle y gagne un solide sens moral qui lui permettra de rĂ©ussir les Ă©preuves que lui infligera Magotine, anti-VĂ©nus de cette anti-PsychĂ©. Au terme de bien des pĂ©rĂ©grinations, Laideronnette obtiendra le salut sous le nom de “Reine DiscrĂšte,” c’est-Ă -dire douĂ©e de jugement, la beautĂ© retrouvĂ©e ne venant que par surcroĂźt. En Ă©rigeant la laideur physique en don surnaturel Ă  la faveur duquel l’hĂ©roĂŻne fait son salut, Madame d’Aulnoy transcrit en termes de fĂ©erie une topique chĂšre aux moralistes et aux dĂ©vots ils estiment que la beautĂ© est un pĂ©ril pour les femmes, et mettent en garde les jeunes personnes contre les risques que leur fait courir leur beautĂ©. La laideur est un don de Dieu elle permet Ă  la femme d’éviter tout risque d’ĂȘtre une idole, c’est-Ă -dire de recevoir des “adorations” que, simple mortelle, elle ne saurait mĂ©riter. Jacqueline Pascal, sƓur de Blaise et enfant poĂšte, se rĂ©jouissait ainsi des atteintes que lui avait faites la petite vĂ©role dont elle avait Ă©tĂ© victime Ă  l’adolescence5 . DĂ©figurĂ©e au sortir de la maladie, la jeune fille voyait dans son rĂ©cent enlaidissement un signe d’élection, dont elle rendit grĂące au Ciel Ah ! Que mon cƓur se sent heureux Quand au miroir je vois les creux Et les marques de ma vĂ©role. Je les prends pour sacrĂ©s tĂ©moins Que je ne suis pas de ceux que vous aimez le moins. Jacqueline Pascal Le faux mĂ©fait de Magotine est comme la transposition fĂ©erique de la petite vĂ©role qui frappait tant d’enfants Ă  l’époque aux yeux de la reine, la laideur est une catastrophe qui exclut sa fille d’un univers privilĂ©giĂ© oĂč ne doit rĂ©gner que grĂące et beautĂ© ; mais en rĂ©alitĂ©, l’enlaidissement est une bĂ©nĂ©diction qui permet Ă  la princesse d’échapper aux vanitĂ©s du monde. Magotine a sauvĂ© Laideronnette de la frivolitĂ©. Il n’est pas indiffĂ©rent d’ailleurs que Magotine soit un des rares personnages de vieilles fĂ©es Ă  bĂ©nĂ©ficier d’une fin heureuse, contaminĂ©e par la contagion de l’amour au dĂ©nouement – ou touchĂ©e par une grĂące “surnaturelle” qui la rend capable d’altruisme et d’un bienfait gratuit, sans calcul, c’est-Ă -dire “gĂ©nĂ©reux” au sens que ce mot pouvait avoir chez Corneille Cependant sa prĂ©sence [de l’Amour] inspira des sentiments si humains Ă  la fĂ©e, qu’encore qu’elle en ignorĂąt la raison, elle reçut trĂšs bien ces illustres infortunĂ©s ; et faisant un effort de gĂ©nĂ©rositĂ© surnaturelle, elle leur rendit le royaume de Pagodie. “Serpentin Vert” Chez la conteuse, le combat contre les vices et les passions dĂ©sordonnĂ©es passe souvent, comme chez La BruyĂšre, Pascal ou Boileau, par l’usage de la satire et d’un rire propre Ă  stigmatiser la folie des hommes la coquetterie des belles et des Ă©lĂ©gants sur les rives du lac miroir, ou le costume de Marcassin suscitent un rire persifleur. Dans la retraite du ChĂąteau de Serpentin, Laideronnette Ă©coute le petit peuple des Pagodes lui rapporter des exemples de la folie des hommes ; pendant leurs voyages dans le monde, ces sages ont tellement de peine Ă  s’empĂȘcher de rire qu’ils menacent d’éclater Il y avait quelquefois des pagodes qui avaient le ventre si enflĂ© et les joues si bouffies, que c’était une chose surprenante. Quand elle leur demandait pourquoi ils Ă©taient ainsi, ils lui disaient Comme il ne nous est pas permis de rire ni de parler dans le monde, et que nous y voyons faire sans cesse des choses toutes risibles, et des sottises presque intolĂ©rables, l’envie d’en railler est si forte que nous en enflons, et c’est proprement une hydropisie de rire, dont nous guĂ©rissons dĂšs que nous sommes ici. » La princesse admirait le bon esprit de la gente pagodine ; car effectivement l’on pourrait bien enfler de rire, s’il fallait rire de toutes les impertinences que l’on voit. “Serpentin Vert” Comme les moralistes, la conteuse adopte la posture railleuse et dĂ©mocritĂ©enne du satirique, dont le rire jaune apparaĂźt comme la seule rĂ©action saine face aux dĂ©rĂšglements du monde. Conclusion Madame d’Aulnoy est-elle une moraliste ? Manifeste-t-elle une sincĂšre volontĂ© d’user du conte de fĂ©es pour sonder le labyrinthe du cƓur Ă  fin de le rĂ©former ou du moins de mieux le comprendre ? Ou met-elle simplement en place une stratĂ©gie Ă©ditoriale destinĂ©e Ă  lĂ©gitimer le conte Moderne ? Dans tous les cas, nous la voyons de facto amenĂ©e Ă  mettre en cause la culture galante et curiale au nom d’une Ă©thique proche de celle dĂ©veloppĂ©e par des moralistes qu’elle a lus de prĂšs. Marie-AgnĂšs Thirard a montrĂ© de façon trĂšs convaincante que la conteuse ne mettait en scĂšne la pastorale que pour la subvertir6 . Nadine Jasmin parle de “ruine de l’illusion pastorale”7 . Peut-on se risquer Ă  dĂ©celer, de mĂȘme, et plus gĂ©nĂ©ralement, une “ruine des illusions galantes” ? La culture mondaine ne serait alors mise en scĂšne avec une telle exubĂ©rance et une telle insistance que pour ĂȘtre minĂ©e de l’intĂ©rieur. Le miroir de “L’Oiseau bleu”, s’il est une allĂ©gorie de l’amour-propre, peut aussi apparaĂźtre comme une mise en abyme du conte, lui-mĂȘme miroir embellissant offrant Ă  une caste privilĂ©giĂ©e un reflet avantagĂ© de sa propre existence. Florine apprend Ă  s’en dĂ©fier, et accepte de revĂȘtir les hardes Mie-Souillon. Dans Le Prince Marcassin, comme dans le diptyque que constituent Le Nain Jaune et Serpentin Vert, la conteuse interroge aussi le bien-fondĂ© de cet art de vivre mondain fondĂ© sur le luxe, les apparences, et le triomphe de la jeunesse. Certains contes se prĂȘtent sans doute mieux Ă  cette critique que d’autres, oĂč la conteuse assure de façon moins suspecte le succĂšs des valeurs aristocratiques et chevaleresques “Le Rameau d’or” paraĂźt jeter par exemple un regard moins suspicieux sur la vieille Ă©thique courtoise revivifiĂ©e par la PrĂ©ciositĂ© et la galanterie. Encore qu’on puisse en discuter les vertus ne sont le plus souvent que des vices dĂ©guisĂ©s, et l’on pourrait Ă  la lumiĂšre de La Rochefoucauld interprĂ©ter Ă  son dĂ©savantage les prĂ©tendues qualitĂ©s d’un Percinet. Quoi qu’il en soit, l’existence de contes oĂč l’intention morale est incontestable suffit Ă  manifester que la surenchĂšre systĂ©matique du luxe et du raffinement rococo ne saurait se rĂ©duire Ă  une simple et naĂŻve autocĂ©lĂ©bration Ă  destination d’une caste de favorisĂ©s. Maxime supprimĂ©e, 1, 1664. [↩] [↩] Les Contes de Perrault et leur sens second l’éloge de la modernitĂ© du siĂšcle de Louis le Grand », Revue d’histoire littĂ©raire de la France, 2014/4 Vol. 114, p. 775-796. DOI URL [↩] Rhingrave sorte de jupe-culotte. [↩] Canon sorte de culotte plissĂ©e en dentelles, raillĂ©e par MoliĂšre dans L’Ecole des maris. [↩] Sur le flĂ©au que reprĂ©sentait cette maladie Ă  l’époque, voir Anne-Claire Josse-Volongo qui a consacrĂ© Ă  cette question une “Minute” de Port-Royal, [↩] Marie-AgnĂšs Thirard, “L’influence de la Pastorale dans les Contes de Madame d’Aulnoy”, Tricentenaire Charles Perrault, Paris, In Press, 1998. [↩] Mots et Merveilles, op. cit., p. 145. [↩] Voici quelques liens vers des Ă©vĂ©nements et publications en rapport avec notre programme Deux confĂ©rences Ă  retrouver en podcasts Ă  l’universitĂ© d’Aix-Marseille Cyril Aslanov sur les archaĂŻsmes et les nĂ©ologismes chez Perrault et Aulnoy ; et Constance Cagnat, sur les proverbes dans notre corpus voir cette page. Les textes sont Ă©galement disponibles sous ce lien. Une soutenance de thĂšse Valentine Damay-Vissuzaine soutiendra le 4 fĂ©vrier 2022 une thĂšse intitulĂ©e “L’Éclat des contes de fĂ©es. Mme d’Aulnoy, Mme de Murat, Mme de La Force et le Chevalier de Mailly” voir cette page Un article de Karine Abiven, paru dans L’Information grammaticale l’an dernier et dĂ©jĂ  disponible sur HAL Trois articles dans la derniĂšre livraison d’Op. cit, par HĂ©lĂ©na Taylor, Eric MĂ©choulan et Jean-Paul Sermain 
 et bien sĂ»r “le conte Ă  la lisiĂšre de la littĂ©rature morale”, notre journĂ©e Ă  l’ENS, dĂ©jĂ  mentionnĂ©e et accessible en vidĂ©o sur Youtube Tout d’abord, je vous prĂ©sente tous mes meilleurs vƓux pour 2022, de santĂ© bien sĂ»r, d’abord, et de rĂ©ussite ensuite! Quelques prĂ©cisions pour la journĂ©e du 15 janvier prĂ©cĂ©demment annoncĂ©e malgrĂ© l’absence de soutien technique le jour J Ă  l’ENS, les organisatrices et organisateurs vont tenter, avec les moyens du bord, une diffusion en direct sur Youtube avec interaction possible par chat. Si tout se passe bien, la journĂ©e sera diffusĂ©e sur la chaĂźne de la SociĂ©tĂ© des Amis de Port-Royal, en principe Ă  l’adresse suivante —-> Si nous rencontrons des problĂšmes techniques, nous vous tiendrons informĂ©es ici mĂȘme sur cette page. Nous ferons vraiment tout notre possible pour permettre au public de profiter de cette journĂ©e Ă  distance, pour celles et ceux qui ne pourraient se rendre Ă  l’ENS. Edit 16/01 malgrĂ© une plate-forme technique artisanale, la journĂ©e a pu ĂȘtre proposĂ©e Ă  distance, et restera accessible sur la chaĂźne des “Minutes de Port-Royal”. Merci aux confĂ©rencieres
 et aussi aux participantes sur Youtube, pour leur dynamisme et leur rĂ©activitĂ© dans le chat! Dans la seconde moitiĂ© du XVIIe siĂšcle, le genre mondain et moderne par excellence Ă©tait l’opĂ©ra, inventĂ© Ă  Florence vers 16001 . Mazarin travailla dĂšs 1645 Ă  l’acclimatation en France de cet art inventĂ© en Italie il fit venir Ă  cette fin l’ingĂ©nieur vĂ©nitien Giacomo Torelli et le chorĂ©graphe Giovan Battista Balbi. DĂ©cor pour l’acte II d’AndromĂšde de Corneille, piĂšce Ă  machines donnĂ©e au Petit-Bourbon le 1er fĂ©vrier 1650. Gravure de 1651. Cliquer sur l’image pour agrandir. Avec la collaboration de Torelli, Pierre Corneille fit jouer en 1650 AndromĂšde, premiĂšre piĂšce Ă  machines, provoquant l’éblouissement d’un public avide de merveilleux. Dans ce type d’Ɠuvres, les intrigues cĂšdent le pas aux plaisirs des sens et particuliĂšrement des yeux, comme le concĂ©dait Corneille au seuil d’AndromĂšde “La beautĂ© de la reprĂ©sentation supplĂ©e au manque des beaux vers [
], mon principal but Ă  Ă©tĂ© de satisfaire la vue par l’éclat et la diversitĂ© du spectacle [
] cette piĂšce n’est que pour les yeux.” Voiture rendit compte dans un sonnet Ă  Mazarin de l’impression de fĂ©erie qui se dĂ©gageait de ces mises en scĂšne Quelle docte CircĂ©, quelle nouvelle Armide, Fait paraĂźtre Ă  nos yeux ces miracles divers, Et depuis quand les corps par le vague des airs Savent-ils s’élever d’un mouvement rapide ? OĂč l’on voyait l’azur de la campagne humide, Naissent des fleurs sans nombre et des ombrages vers, Des globes Ă©toilĂ©s les palais sont ouverts, Et les gouffres profonds de l’empire L’opĂ©ra français proprement dit naquit en 1673, lorsque Philippe Quinault et Jean-Baptiste Lully créÚrent Ă  l’AcadĂ©mie royale de musique Cadmus et Hermione, inspirĂ© des MĂ©tamorphoses d’Ovide l’invention du rĂ©citatif permettait la mise en cohĂ©rence parfaite de l’action dramatique, des airs, des chƓurs et de la danse. Les partisans des Anciens dĂ©testĂšrent aussitĂŽt ce type de spectacle, sans modĂšle antique, hybride, mĂ©langeant les genres, miĂšvre, littĂ©rairement faible, aux intrigues simplifiĂ©es, et dont le prĂ©texte mythologique masquait mal l’attention accordĂ©e Ă  la peinture dĂ©licate des tourments et des plaisirs de l’amour. Boileau garda le silence sur l’opĂ©ra dans L’Art poĂ©tique 1674, et La Fontaine railla son succĂšs selon lui provisoire, tout juste propre Ă  plaire quelque temps au bourgeois “Des Machines d’abord le surprenant spectacle / Éblouit le Bourgeois et fit crier miracle ; / Mais la seconde fois il ne s’y pressa plus [
].” EpĂźtre Ă  Monsieur de Niert, sur l’opĂ©ra, 1677 Cadmus et Hermione, mise en scĂšne historiquement informĂ©e Vincent Dumestre et Benjamin Lazar, 2009. Cliquer pour agrandir. Du cĂŽtĂ© des Modernes, il en alla tout autrement. Le public fĂ©minin et mondain rĂ©serva un accueil triomphal Ă  ce nouveau divertissement oĂč rĂ©gnaient sans partage sentiments, surprises, enchantements des yeux et des oreilles. Aussi, lorsque les conteuses et les conteurs se mirent Ă  Ă©crire des contes de fĂ©es, c’est tout naturellement dans les prestiges de l’opĂ©ra que leur inspiration alla puiser le modĂšle de leurs enchantements. Idem. C’est ainsi un opĂ©ra que Percinet offre comme divertissement Ă  Gracieuse, pourvu de toutes les sĂ©ductions propres Ă  ce genre “C’étaient les Amours de PsychĂ© et de Cupidon, mĂȘlĂ©s de danses et de petites chansons” p. 62. Gracieuse le regarde comme un “enchantement” p. 63. Vers, musique et danse sont ici mis au service d’une histoire d’amour tendre et dĂ©licate, sur un thĂšme bien connu en 1678, Thomas Corneille, jeune frĂšre de Pierre, et Bernard de Fontenelle, qui devait devenir l’un des plus ardents partisans de la cause moderne, avaient Ă©crit le livret d’un opĂ©ra intitulĂ© PsychĂ©, d’aprĂšs la tragĂ©die-ballet Ă©ponyme de MoliĂšre 1671, sur une musique de Lully. Madame d’Aulnoy peut ainsi rendre un quadruple hommage Ă  Corneille, MoliĂšre, Lully, mais aussi La Fontaine, Ancien Ă  la fois enviĂ© et respectĂ©, auteur d’un roman PsychĂ© dont la prĂ©sence dans son Ɠuvre est obsĂ©dante. On trouve d’autres rĂ©fĂ©rences littĂ©rales Ă  l’opĂ©ra dissĂ©minĂ©es dans les contes ainsi, lors de l’entrĂ©e de Fanfarinet, “six joueurs de flĂ»te [
] jouaient les plus beaux airs de l’opĂ©ra, et six hautbois rĂ©pondaient par Ă©chos” p. 139. D’une façon plus gĂ©nĂ©rale, les scĂ©nographies opĂ©ratiques contaminent toutes les formes du merveilleux fĂ©erique. Idem. Les effets spĂ©ciaux et les machines, tout d’abord, constituent la dette la plus remarquable des contes envers l’opĂ©ra ainsi les chariots volants des fĂ©es, tirĂ©s par des animaux fabuleux, qu’on trouve dans “La Belle au bois dormant” on vit arriver la fĂ©e “dans un chariot tout de feu, traĂźnĂ© par des dragons”, p. 189, sont encore plus complaisamment dĂ©crits par Madame d’Aulnoy. Celle-ci imagine toutes sortes de “beaux chariot d’or” p. 154, tirĂ©s par des pigeons p. 123, des cygnes p. 228, des chauve-souris p. 155, ou des “grenouilles volantes” p. 116. Les fĂ©es de La Biche au bois entrent en scĂšne comme lors des “entrĂ©es” des divinitĂ©s Ă  l’opĂ©ra Sur-le-champ elle vit arriver les fĂ©es. Chacune avait son chariot de diffĂ©rente maniĂšre l’un Ă©tait d’ébĂšne, tirĂ© par des pigeons blancs ; d’autres d’ivoire, que de petits corbeaux traĂźnaient ; d’autres encore de cĂšdre et de canambou. C’était lĂ  leur Ă©quipage d’alliance et de paix ; car, lorsqu’elles Ă©taient fĂąchĂ©es, ce n’était que des dragons volants, que des couleuvres, qui jetaient le feu par la gueule et par les yeux ; que lions, que lĂ©opards, que panthĂšres. p. 243. Ces “chariots de feu” qui “s’envol[ent] dans l’air” p. 135 sont imaginĂ©s sur le modĂšle des machines de théùtre, telles que les dĂ©crivent dĂ©jĂ  les indications d’AndromĂšde, oĂč se trouve, explique la prĂ©face, “une machine volante” “Sur un des sommets de la montagne paraĂźt MelpomĂšne, la muse de la tragĂ©die, et Ă  l’opposite dans le ciel, on voit le Soleil s’avancer dans un char tout lumineux, tirĂ© par les quatre chevaux qu’Ovide lui donne.”3 . Jean BĂ©rain, MĂ©dĂ©e dans son char tirĂ© par des dragons, pour l’opĂ©ra ThĂ©sĂ©e Quinault et Lully, 1675. MusĂ©e du Louvre. Cliquer sur l’image pour agrandir. Il en va dans les contes comme AndromĂšde, oĂč les machines “ne sont pas [
] comme des agrĂ©ments dĂ©tachĂ©s ; elles [
] font le nƓud et le dĂ©nouement, et y sont si nĂ©cessaires que vous n’en sauriez retrancher aucune que vous ne fassiez tomber tout l’édifice.” Les dessins des accessoires d’opĂ©ras manifestent avec Ă©vidence la source de l’imaginaire fĂ©erique de nos conteurs BĂ©rain dessina par exemple de somptueux chars volants tirĂ©s par des animaux fantastiques, comparables en tout point Ă  ceux de nos rĂ©cits. Jean BĂ©rain, ThĂ©tis dans son char marin pour l’opĂ©ra Alceste 1674. Vers 1677/1678. MusĂ©e du Louvre. La musique et les chants sont indispensables aux plaisirs des grands, et accompagnent tous leurs divertissements. Florine et son Oiseau, rĂ©unis Ă  l’insu de Truitonne, entonnent un “petit concert”, vĂ©ritable piĂšce d’opĂ©ra, “un air Ă  deux parties” dont la conteuse nous donne les paroles p. 110. Il n’est pas jusqu’aux oiseaux du “Rameau d’or” qui ne fassent rĂ©sonner de “doux concerts” p. 194. Chez Perrault, dĂšs son rĂ©veil, la princesse est accompagnĂ©e d’un concert de musique ancienne p. 195 ; dans Gracieuse et Percinet, au contraire, la princesse s’endort au son de la musique p. 62-63. Jean BĂ©rain, costume du fleuve Sangar pour l’opĂ©ra Atys de Lully 1676. MusĂ©e CondĂ© de Chantilly. Cliquer sur l’image pour agrandir. Les vĂȘtements chamarrĂ©s de nos personnages sont eux aussi conçus sur le modĂšle des costumes d’opĂ©ra, ainsi celui de Fanfarinet “Fanfarinet avait un habit tout en broderie, des perles, des bottes d’or, des plumes incarnates, des rubans partout, et tant de diamants car le roi Merlin en avait des chambres pleines que le soleil brillait moins que lui.” p. 139. Les acteurs de théùtre, et plus encore les chanteurs d’opĂ©ra, portaient eux aussi de somptueux habits, comme en tĂ©moignent Ă©galement les dessins de BĂ©rain, ainsi celui dessinĂ© pour le rĂŽle de Sangar, personnage d’Atys 1676 “L’Enchanteur de l’opĂ©ra”, in Nicolas et Robert Bonnart. Jean BĂ©rain et J. Lepautre, Recueil de costumes, Paris, vers 1700. Cliquer sur l’image pour agrandir. La description par Sabine Chaouche des festivitĂ©s organisĂ©es par l’Intendance des Menus Plaisirs administration chargĂ©e de prĂ©parer les divertissements royaux, qui souligne la proximitĂ© entre opĂ©ra et fĂ©erie, convient aussi pour dĂ©finir l’esthĂ©tique des contes de fĂ©es de la fin du siĂšcle Machines volantes capables de sidĂ©rer le public, dĂ©cors scintillants et rĂ©verbĂ©rant les flammes des chandelles, habits Ă©blouissants, magnifiques » comme se plaĂźt Ă  le souligner l’intendant Ă  de nombreuses reprises, faits de tissus brillants comme le satin, ornĂ©s de perles, de franges ou de galons d’or
 la politique des Menus Plaisirs privilĂ©giait clairement l’aspect visuel, au dĂ©triment du texte. Elle illustrait une forme d’obsession pour la culture matĂ©rielle que cela soit la parure des acteurs et des danseurs, ou par les objets et la reprĂ©sentation d’espaces fĂ©eriques et luxueux, ceux des palais princiers, rappelant, voire reflĂ©tant constamment la position sociale des spectateurs. C’est par rapport au paradigme opĂ©ratique qu’il faut considĂ©rer le merveilleux des contes la nature est inspirĂ©e par les toiles peintes, les sortilĂšges par les machines, les vĂȘtements par les costumes de scĂšne. Ballets, feu d’artifices, fĂȘtes de cour constituent le cadre de rĂ©fĂ©rence du merveilleux dans les Ɠuvres au programme. Nous sommes, chez d’Aulnoy mais aussi chez Perrault, trĂšs, trĂšs loin du folklore et des traditions orales ou populaires nous sommes dans l’univers des merveilles de la cour, pour reprendre le titre du site que Marine Roussillon et son Ă©quipe consacrent aux divertissements curiaux. Le monde des contes est un théùtre, ou plutĂŽt, comme l’écrit Raymonde Robert, “le spectaculaire [
] est devenu le fondement de toutes les valeurs”4 . Les conteurs deviennent des ordonnateurs de fĂȘtes, intendants des Menus Plaisirs Ă  destination de leur public friand de spectacles fastueux, et nostalgiques des fĂȘtes magnifiques que donnait Louis XIV au temps de sa jeunesse, comme “Les Plaisirs de l’Île enchantĂ©e” 1664, l’un des divertissements royaux les plus extraordinaires du rĂšgne, qui prenaient dĂ©jĂ  pour thĂšme une magicienne Alcine, personnage du Roland furieux de l’Arioste. Le rĂšgne des fĂ©es et des magiciens ne commence pas en 1690 les contes hĂ©ritent d’un goĂ»t pour les enchantements qui traverse toute la pĂ©riode. Le XVIIe siĂšcle fut tout entier le siĂšcle des merveilles, dont les contes offrent la plus splendide transposition littĂ©raire. Feu d’artifice accompagnant la destruction du palais de la magicienne Alcine, dĂ©nouement des “Plaisirs de l’üle enchantĂ©e” 1664. IsraĂ«l Silvestre et François Chauveau, musĂ©e de Versailles. Cliquer sur l’image pour agrandir. “Tout ce que l’ancienne GrĂšce nous vante” p. 61 mythologie et modernitĂ© C’est la rĂ©fĂ©rence Ă  l’opĂ©ra qui nous permet de mieux saisir le rĂŽle et la place de la mythologie greco-latine dans nos contes. La mythologie classique la “fable”, ainsi qu’on disait au XVIIe siĂšcle est bien prĂ©sente dans les contes de Madame d’Aulnoy enchanteurs et fĂ©es mĂ©diĂ©vaux y cĂŽtoient, entre autres, VĂ©nus p. 52, PsychĂ© et Cupidon p. 62, Tisiphone p. 226, les GrĂąces p. 257, la dĂ©esse Aurore p. 184, des nymphes p. 62, 227, 236 et une sirĂšne p. 232, tandis que Toute-Belle, comme les dames des salons, pratique le cosplay mythologique, “presque toujours vĂȘtue en Pallas ou en Diane” p. 214, de mĂȘme que DĂ©sirĂ©e, “vĂȘtue en chasseuse” p. 279. La moisson serait bien plus impressionnante encore si l’on prenait en compte l’ensemble du corpus, oĂč se pressent par exemple un centaure bleu, Jason et les Argonautes, Eole et ZĂ©phyr, Antoine et ClĂ©opĂątre, ou encore une hybride, la “FĂ©e Amazone”. Aux rĂ©fĂ©rences explicites s’ajoutent des allusions moins Ă©videntes, mais tout aussi essentielles le Rameau d’or rappelle celui de la Sibylle de Cumes, grĂące auquel EnĂ©e, chez Virgile, peut pĂ©nĂ©trer dans le royaume des morts EnĂ©ide, chant VI. L’histoire de PsychĂ©, issue d’ApulĂ©e et reprise par La Fontaine, est un fil rouge narratif chez Madame d’Aulnoy, qui réécrit cette histoire Ă  trois reprises “Gracieuse et Percinet”, “Le Serpentin vert”, “Le Mouton”, mais elle ne l’est pas moins chez Perrault, si l’on en croit Ute Heidmann celle-ci entend des Ă©chos de PsychĂ© dans “La Belle”, “Le Petit Chaperon” et “La Barbe bleue”5 . PsychĂ© n’est pas non plus sans prĂ©senter de troublantes ressemblances avec Toute-Belle, admirĂ©e de l’univers entier p. 215, rappelle l’émoi universel suscitĂ© par l’hĂ©roĂŻne d’ApulĂ©e au seuil du conte latin, et plus loin, la scĂšne du “Nain Jaune” oĂč la reine, porteuse d’un panier, tente d’amaouder des monstres en leur offrant un gĂąteau de miel, Ă©voque l’épisode oĂč l’hĂ©roĂŻne antique affronte CerbĂšre, avec plus de succĂšs que la reine de notre conte. Cette omniprĂ©sence des rĂ©fĂ©rences antiques et mythologiques peut surprendre dans les contes “modernes” de Madame d’Aulnoy l’absence au moins apparente des dieux, nymphes et dĂ©esses paraĂźt, chez Perrault, plus cohĂ©rente avec son combat contre les Anciens. La rĂ©alitĂ© est plus complexe les opĂ©ras, genre moderne par excellence comme on l’a vu, sont tous bĂątis sur des sujets mythologiques, et n’en ont pas plu pour autant aux dĂ©fenseurs de l’AntiquitĂ©. Comme l’a montrĂ© Nadine Jasmin6 , plus que le thĂšme fabuleux en lui-mĂȘme, c’est le traitement des mythes qui distingue l’attitude moderne dans son rapport Ă  l’hĂ©ritage grĂ©co-latin. Madame d’Aulnoy, certes, multiplie les allusions, mais presque toujours pour discrĂ©diter les crĂ©atures antiques, et afficher la supĂ©rioritĂ© de la culture mondaine et galante. Les comparaisons tournent toujours en faveur de la modernitĂ©, dont l’esthĂ©tique comme la technologie surpassent celles des Anciens. Ainsi, les frises racontant l’histoire de Gracieuse sont si finement sculptĂ©es et “d’un travail si fini que les Phidias et tout ce que l’ancienne GrĂšce nous vante n’auraient pu l’approcher” p. 61. L’hĂ©roĂŻne elle-mĂȘme surclasse par sa beautĂ© la dĂ©esse de l’Amour en personne “VĂ©nus, mĂšre des Amours, aurait Ă©tĂ© moins belle” p. 52. PrintaniĂšre est une belle matineuse dans le goĂ»t prĂ©cieux7 , dont la beautĂ© Ă©clipse celle de la dĂ©esse Aurore au point de tromper les Ă©toiles p. 156. La fille de l’empereur de Matapa, dans “Belle-Belle”, qui a “vaincu tous ceux qui ont voulu [lui] disputer le prix de la course”, l’aurait emportĂ© sur Atalante mĂȘme p. 324. Le terme d’amazone est pĂ©joratif lorsqu’il dĂ©signe la sƓur de Belle-Belle p. 285. La sirĂšne, pour le malheur du roi des Mines d’or et de Toute-Belle, Ă©choue face Ă  la fĂ©e comme le suggĂšre Nadine Jasmin, cet Ă©chec emblĂ©matise la faillite du merveilleux mythologique devant le merveilleux mĂ©diĂ©val. Quant Ă  Louis XIV, “le plus grand roi du monde”, il l’emporte sur le dieu de la guerre lui-mĂȘme, “le dĂ©mon de Thrace”, p. 246 Madame d’Aulnoy cĂ©lĂšbre dans ses contes la grandeur du “SiĂšcle de Louis Le Grand”. On constate aussi que les divinitĂ©s mythologiques infernales viennent volontiers au secours des mauvaises fĂ©es, comme les Furies, assistantes de Grognon p. 57, et auxquelles sont aussi comparĂ©es Truitonne et sa mĂšre p. 111. “Le Nain jaune” confirme le discours des thĂ©ologiens, qui prĂ©tendent qu’elles sont en rĂ©alitĂ© des dĂ©mons dĂ©guisĂ©s, comme la FĂ©e du DĂ©sert, vĂ©ritable diable, comme le montre l’impossibilitĂ© de dĂ©guiser son pied en forme de “griffon”, et fausse nymphe p. 227. Enfin, lorsque la conteuse cite Ovide p. 152, elle choisit des vers des Amours dans la traduction la plus moderne et la plus galante, celle de Jean Barrin Les EpĂźtres et toutes les Ă©lĂ©gies amoureuses d’Ovide, Paris, Claude Audinet, 1676, . La citation possĂšde une valeur polĂ©mique Ă  la faveur d’Ovide, introduit en badinant et sans pĂ©dantisme aucun, la conteuse oppose aux Anciens une AntiquitĂ© galante, plus souriante, plus enjouĂ©e, moins sĂ©rieuse et compassĂ©e que celle promue par Boileau et ses amis. Ainsi s’achĂšve, au moins provisoirement et pour l’essentiel, le prĂ©sent carnet j’avais Ă  cƓur de faire le tour des questions principales avant l’écrit de l’interne. Les derniers billets, “RĂ©solument Modernes” correspondent, je pense, Ă  des attentes du jury. Les questions de la galanterie et de la modernitĂ© doivent faire l’objet d’une attention tout particuliĂšre dans la prĂ©paration. Merci Ă  toutes celles et ceux qui me font l’amitiĂ© de me suivre, bonnes fĂȘtes de fin d’annĂ©e, et Ă  bientĂŽt, pour la prĂ©paration Ă  l’oral! Godfried Maes 1649-1700, PhaĂ«ton dans le char de son pĂšre, vers 1700 Sur les contes de fĂ©es et l’opĂ©ra Raymonde Robert, “Le monde comme spectacle les contes de fĂ©es et l’opĂ©ra”, in Le Conte de fĂ©es littĂ©raire en France, op. cit., p. 388-403. Sur l’opĂ©ra quelques prolongements en ligne Marine Roussillon et alii, Merveilles de la cour. Technique, esthĂ©tique et politique des divertissements de cour, Sabine Chaouche, “Menus Plaisirs et grands spectacles au XVIIe et au XVIIIe siĂšcle”, The French Mag. Performance and drama, 2016, Sandra Galand-Lecardonnel, “Spectacle et comĂ©die l’apport des piĂšces Ă  machines au XVIIe siĂšcle”, 2021, Site web du Centre de Musique baroque de Versailles L’Orfeo, de Monteverdi, date de 1607. [↩] “A Monseigneur le cardinal Mazarin, sur la comĂ©die des machines”, in Nouvelles Ɠuvres de Monsieur Voiture, Paris, A. CourbĂ©, 1658. [↩]MoliĂšre, ƒuvres complĂštes, dir. G. Forestier et C. Bourqui, Paris, Gallimard, 2010, vol. 1, p. 526. [↩] Le Conte de fĂ©es littĂ©raire en France, op. cit., p. 403 [↩] Voir Ute Heidmann, ExpĂ©rimentation gĂ©nĂ©rique et dialogisme intertextuel Perrault, La Fontaine, ApulĂ©e, Straparola, Basile », FĂ©eries, 8 2011, URL [↩] Mots et merveilles, op. cit., p. 33-81. [↩] On peut songer au sonnet de Vincent Voiture sur ce thĂšme, et qui s’achĂšve par ce tercet “L’Onde, la terre et l’air s’allumaient alentour / Mais auprĂšs de Philis on le prit pour l’Aurore, / Et l’on crut que Philis Ă©tait l’astre du jour” [↩] La magnificence Ă  pour corollaire la galanterie, entendue comme forme de sociabilitĂ© lettrĂ©e. Les hĂ©ros positifs des contes sont polis, honnĂȘtes et civils DĂ©sirĂ©e s’exprime “avec toute la politesse qu’on devait attendre d’une personne si bien Ă©levĂ©e” p. 279, et Belle-Belle-FortunĂ© rĂ©pond aux rĂ©vĂ©rences “d’un air honnĂȘte et civil” p. 290, et prend garde de respecter l’étiquette et les codes de conduite p. 310. Riquet, louĂ© parce qu’il est “spirituel”, aborde la princesse avec “toute la politesse imaginable” et lui fait ses “compliments” p. 277. Politesse et honnĂȘtetĂ© sont les critĂšres discriminants de la vertu dans “Les FĂ©es” de Perrault, oĂč l’hĂ©roĂŻne est “si belle, si bonne” et surtout “si honnĂȘte” p. 252 au contraire de sa sƓur, qui n’est “guĂšre honnĂȘte” p. 253. J’avais tentĂ© de montrer jadis que Cendrillon peut se lire comme une allĂ©gorie de la civilitĂ© j’y renvoie le lecteur curieux1 . Le nom mĂȘme de Gracieuse manifeste que celle-ci possĂšde cette qualitĂ© mondaine essentielle qu’est la grĂące, donnĂ©e comme suprĂȘme vertu et “vrai don des fĂ©es” dans la moralitĂ© de “Cendrillon” p. 269. Les opposantes et les opposants sont bien sĂ»r privĂ©s de ces qualitĂ©s et constituent des anti-modĂšles ils manquent de goĂ»t vestimentaire ainsi la FĂ©e du DĂ©sert, avec sa “fraise de taffetas noir”, son “chaperon de velours rouge” et “un vertugadin en guenille”, p. 224. Ils sont aussi incapables de maĂźtriser leurs corps Truitonne qui “rit comme une perdue”, le rire aux Ă©clats Ă©tant considĂ©rĂ© comme indĂ©cent, et soulignĂ© par l’emploi d’une expression familiĂšre p. 125. La vie des princes et des princesses, honnĂȘte, galante et raffinĂ©e, n’est pas une existence vouĂ©e au dĂ©sƓuvrement si l’on aime “rire et chanter” p. 166, et si l’on y joue Ă  la bassette et au tric-trac p. 166 et 180, l’essentiel du temps libre est consacrĂ© Ă  la poĂ©sie, Ă  la musique, au loisir lettrĂ©, tel que le dĂ©crit Alain GĂ©netiot dans sa PoĂ©tique du loisir mondain2 . Les princes sont valeureux, mais ils sont aussi et surtout des esthĂštes capables d’apprĂ©cier l’art dont ils sont entourĂ©s Torticoli, dans sa tour, goĂ»te “l’excellence des peintures” p. 183. MĂȘme dans sa prison, la littĂ©rature tient une place essentielle Torticoli obtient de se dĂ©sennuyer grĂące aux livres qui se trouvent dans la bibliothĂšque de la tour p. 178, et GiroflĂ©e projette “d’acheter des livres pour [
] divertir” sa maĂźtresse p. 269. Avenant ne se dĂ©place jamais sans son Ă©critoire, pour garder trace des belles “pensĂ©es” qui pourraient traverser son esprit p. 78. Les dames occupent une place Ă©minente dans cet univers curial brillant et cultivĂ© Gracieuse reçoit la meilleure Ă©ducation auprĂšs de “personnes savantes, qui lui apprenaient toutes sortes de sciences” p. 49. DĂ©sirĂ©e n’est “pas ignorante et stupide” p. 246, Florine chante p. 110, Brillante rĂ©pond en vers Ă  Sans-Pair p. 199, et toutes maĂźtrisent l’art de la conversation, dont Mademoiselle de ScudĂ©ry avait Ă©maillĂ© ses romans et composĂ© des recueils3 ainsi Florine et le roi Charmant, dont un premier duo est interrompu par Truitonne p. 94, mais qui retrouvent ensuite dans “leur cƓur et leur esprit”, matiĂšre Ă  d’inĂ©puisables “sujets de conversation” p. 109. Chez Perrault, dans “Riquet Ă  la houppe”, la princesse, dĂšs qu’elle se trouve pourvue d’esprit, l’emporte aussitĂŽt sur son prĂ©tendant dans cet exercice qui exige brio et Ă  propos et convient si bien aux femmes Elle commença, dĂ©s ce moment, une conversation galante et soutenue avec Riquet Ă  la Houppe, oĂč elle brilla d’une telle force que Riquet Ă  la Houppe crut lui avoir donnĂ© plus d’esprit qu’il ne s’en Ă©tait rĂ©servĂ© pour lui-mĂȘme. Les fĂ©es sont-elles galantes ? Si certaines sont exquises, comme celle qui vient au secours de PrintaniĂšre, d’autres sont plus revĂȘches, comme Ecrevisse. On peut se demander si parfois, Ă  travers ces figures ancestrales, Madame d’Aulnoy ne raille pas les Anciens elles traĂźnent avec elles de vieux “grimoires”, et peuvent se montrer Ă©rudites les amies de la reine de La Biche au bois sont “savantes dans l’Histoire” p. 245 et l’on trouve dans “La Princesse PrintaniĂšre” une gĂ©ographe, autrice d’un atlas “oĂč Ă©tait la description de toute la terre” p. 153. Carabosse porte mĂȘme un nom grec karabos signifie “escarbot” hanneton, comme celui qui tire son char p. 154. Constance Cagnat suggĂšre que son langage, “un jargon que l’on n’entendait pas” p. 134 pourrait bien ĂȘtre du grec. Les mortelles sont plus discrĂštes DiscrĂšte est d’ailleurs le nom de l’hĂ©roĂŻne de “Serpentin vert” elles masquent mieux leur savoir, pour ne paraĂźtre pas pĂ©dantes. Il n’est rien de forcĂ© dans leur “grĂące” qui s’apparente Ă  une â€œĂ©loquence naturelle” p. 277, loin de tout artifice et de toute affectation de connaissance. Un “style fort tendre et fort galant” p. 97 Les contes mettent en abyme diffĂ©rents genres littĂ©raires, qui sont prĂ©cisĂ©ment ceux qu’on pratique dans les cercles mondains, et qu’on trouve en abondance dans les recueils et anthologies de l’époque4 . “Tous les poĂštes de l’univers” composent ainsi chaque jour pour Toute-Belle “sept ou huit mille sonnets, autant d’élĂ©gies, de madrigaux et de chansons” p. 215, ensemble qui rappelle La Guirlande de Julie, florilĂšge de madrigaux et de sonnets composĂ©s par les beaux esprits du milieu du siĂšcle en l’honneur de Julie d’Angennes, fille de Madame de Rambouillet. Belle-Belle-FortunĂ© est de son cĂŽtĂ© poĂšte elle Ă©crit un “couplet de chanson” sur un “air nouveau” Ă  la mode p. 303. Quant Ă  Avenant, parfait chevalier galant, il est capable de composer des chansons impromptues tout en se battant avec un monstre – la piĂštre qualitĂ© des vers s’expliquant par la frayeur qu’il Ă©prouve devant Galifron p. 84. Madame d’Aulnoy affectionne aussi le prosimĂštre, mĂ©lange de prose et de vers, pratiquĂ© par La Fontaine dans PsychĂ©, et qu’on retrouve dans la partie pastorale du “Rameau d’or” p. 197-206.5 . On reconnaĂźt aussi chez Madame d’Aulnoy les traits du style prĂ©cieux, auxquels elle se conforme avec humour, certaine de trouver en son public un complice capable d’apprĂ©cier avec recul l’amoncellement de topoĂŻ et de figures l’incendie que provoquaient les “beaux yeux”, et que tempĂ©raient les “dĂ©luges d’eau” de pluie, est une pointe que n’eĂ»t pas dĂ©savouĂ©e Vincent Voiture p. 142, non plus que le soleil qui se cache de dĂ©pit p. 140. “Les roses et les lis d’un visage charmant” sont Ă©galement une mĂ©taphore bien usĂ©e pour louer le teint d’une belle p. 213. Quant Ă  l’expression “merveilles de nos jours” p. 105, elle Ă©tait dĂ©jĂ  condamnĂ©e par Pascal dans les PensĂ©es comme une facilitĂ© pseudo-poĂ©tique Ă  la mode PensĂ©es, Ă©d. Sellier 486. Les “chaĂźnes” d’amour p. 305 viennent tout droit d’un pĂ©trarquisme bien Ă©culĂ©, comme le “trait fatal” de l’amour p. 307 ; les “ruisseaux de ses larmes” p. 146 sont une hyperbole prĂ©cieuse, et la pĂ©riphrase “fidĂšle conseiller” 230 pour dĂ©signer un miroir est un dĂ©marquage quasi littĂ©ral des PrĂ©cieuses ridicules, que les lectrices identifiaient nĂ©cessairement Madelon demandait chez MoliĂšre qu’on lui apportĂąt le “conseiller des grĂąces”, et devait expliquer Ă  son serviteur ce qu’elle entendait par cette expression scĂšne 8. On peut rattacher aussi au style prĂ©cieux le goĂ»t de Madame d’Aulnoy pour les nĂ©ologismes “dĂ©grillonner”, p. 209, “dĂ©bichonner”, p. 269, “dragonne”, p. 316, ou le superlatif dans “il l’aimait avec la derniĂšre passion depuis quelques annĂ©es” p. 221, fidĂ©litĂ© exceptionnelle elle-mĂȘme caractĂ©ristique de l’idĂ©al amoureux prĂ©cieux. Les contes ne se contentent pas d’adopter le ton et les formes des genres “à la mode” ils multiplient les allusions prĂ©cises Ă  des textes du temps. Le jeu consistait pour les contemporains Ă  identifier les Ă©chos d’une littĂ©rature Ă  succĂšs galante et mondaine. Outre Lully, donnĂ© comme on l’a dit pour parangon du musicien p. 306, on joue chaque soir “une des plus belles piĂšces de Corneille ou de MoliĂšre” dans le palais de Serpentin Vert ; chez La Chatte blanche, qui mĂšne une guerre contre les rats, La Fontaine est attestĂ© comme “un auteur trĂšs vĂ©ritable”. Dans le mĂȘme conte, Raminagrobis renvoie aussi Ă  La Fontaine, de mĂȘme que “Monsieur du Corbeau” dans “La Belle aux cheveux d’or” p. 85, ou dans le mĂȘme conte “Ma CommĂšre la carpe” p. 83, venue tout droit de la fable du HĂ©ron VII, 4. D’autres rĂ©fĂ©rences sont moins Ă©videntes pour nous, mais Ă©taient transparentes pour les contemporains les lecteurs du temps identifiaient aisĂ©ment, dans la strophe de l’opĂ©ra de Percinet p. 62, des vers de Madame de La Suze trĂšs diffusĂ©s dans les recueils6. Le Chat d’Espagne, sur lequel est montĂ© le Nain jaune p. 225, est le titre d’une nouvelle galante de Jacques Alluis 1669. Mais c’est envers Perrault que la dette est la plus manifeste. On trouve des citations dĂšs le premier recueil de Madame d’Aulnoy, paru en avril 1697, soit trois mois seulement aprĂšs la publication des Histoires ou contes du temps passĂ© “Ah ! qu’elle est belle ! Ah ! qu’elle est belle ! ” p. 141 reprend en la redoublant l’exclamation unanime de la cour Ă  l’apparition de “Cendrillon” p. 264 ; “on dormait tout debout” rappelle “les gentilshommes et les dames, dormants tous, les uns debouts, les autres assis” de “La Belle au bois dormant” p. 194. Le rĂ©veil de BĂ©nigne p. 183 prĂ©sente bien des similitudes avec celui de La Belle Il entre dans un salon tout de lapis, et traversant des appartements sans nombre [
] il arriva enfin dans une petite chambre dont tous les ornements Ă©taient de turquoise, et il vit sur lit de gaze bleu et or une dame qui semblait dormir ; elle Ă©tait d’une beautĂ© incomparable. “Le Rameau d’or”, p. 183 Il traverse plusieurs chambres [
]. Il entre dans une chambre toute dorĂ©e, et il voit sur un lit, dont les rideaux Ă©taient ouverts de tous cĂŽtĂ©s, le plus beau spectacle qu’il eut jamais vu une princesse qui paraissait avoir quinze ou seize ans, et dont l’éclat resplendissant avoit quelque chose de lumineux et de divin. “La Belle au bois dormant”, p. 194 On note aussi plusieurs souvenirs de “La Barbe bleue” Trognon, qui “ne vit rien venir p. 190, et PrintaniĂšre, qui “aurait attendri un rocher” p. 150 sont des reprises littĂ©rales p. 224, 226. La formulette du “Chat bottĂ©â€ est rĂ©pĂ©tĂ©e deux fois dans notre volume, d’abord dans “Gracieuse et Percinet” “il faudrait la hacher et en faire un pĂątĂ©â€, p. 64 puis dans “La Princesse PrintaniĂšre” “hachĂ© comme chair Ă  pĂątĂ©â€, p. 147. Comme on l’a vu, on retrouve sur la tĂȘte de la FĂ©e du DĂ©sert un “chaperon de velours rouge” qui Ă©voque celui de la cĂ©lĂšbre fillette perraldienne p. 206. Ces renvois confirment l’hypothĂšse de Marc Fumaroli, selon laquelle les salons fonctionnent comme un “atelier de littĂ©rature” oĂč les participants Ă©changent des consignes et renvoient mutuellement Ă  leurs productions rĂ©ciproques. Madame d’Aulnoy pratique mĂȘme l’auto-citation, et met en abyme son propre livre dans “La Biche au bois”, oĂč GiroflĂ©e Ă©voque “les contes nouveaux que l’on a faits sur les fĂ©es” p. 269. Les contes participent aussi d’un romanesque goĂ»tĂ© par le public mondain et mĂ©prisĂ© par les Anciens. Perrault et Madame d’Aulnoy, comme on l’a vu, s’inspirent d’abord de romans mĂ©diĂ©vaux comme Le Perceforest. Le modĂšle chevaleresque courtois devient sous leur plume un stĂ©rĂ©otype les chevaliers joutent lors de “tournois” p. 58, oĂč paraĂźt un chevalier inconnu, comme jadis Yvain dans Le Chevalier au lion ou Lancelot dans Le Chevalier Ă  la charrette. Avenant doit rituellement mettre Ă  mort un dragon, comme avant lui tant de hĂ©ros, Ă  commencer par Perceval dans La QuĂȘte del saint Graal. L’épisode se trouve ici ici vidĂ© de toute substance mĂ©taphysique et religieuse ne subsiste du topos que le prĂ©texte Ă  un rĂ©cit dĂ©coratif et galant. Il n’en reste pas moins que la structure de La Belle aux cheveux d’or doit plus Ă  ces scĂ©narios venus de romans courtois ou de chevalerie, qu’à d’éventuelles structures folkloriques. La pastorale est le second courant romanesque avec lequel dialoguent les contes de Madame d’Aulnoy HonorĂ© d’UrfĂ©, de 1607 Ă  1625, avait sĂ©duit un large public mondain et aristocratique avec L’AstrĂ©e, qui racontait des histoires de bergĂšres et de bergers de fantaisie, vivant de poĂ©sie et de musique, et qui passaient leur temps en conversations passionnĂ©es sur l’amour, ou plutĂŽt sur “les divers effets de l’honnĂȘte amitiĂ©â€, expression qui servait de sous-titre Ă  l’Ɠuvre. En 1698, plus personne n’écrit de romans pastoraux, mais l’AstrĂ©e trouve encore bien des admirateurs. Julie d’Angennes, cosplayer avant l’heure, s’était mĂȘme fait reprĂ©senter dans le costume d’AstrĂ©e. Claude Deruet, Julie d’Angennes en costume d’AstrĂ©e. AnnĂ©es 1630. MusĂ©e des Beaux-Arts de Strasbourg. Cliquer pour agrandir. Alors que, depuis plusieurs dĂ©cennies, Mme de Villedieu, Saint-RĂ©al et Mme de Lafayette avaient fait triompher dans la fiction les histoires d’amour sombres et dĂ©sabusĂ©es, Madame d’Aulnoy, Ă  la fin du siĂšcle, rĂ©veille dans le cƓur de son public la nostalgie pour ces histoires de bergers sentimentaux. Un long Ă©pisode pastoral prend place au cƓur du “Rameau d’or”. Brillante y apparaĂźt en bergĂšre solitaire, aimant “son troupeau et son chien” p. 195. Sans-Pair y est rapprochĂ© explicitement du hĂ©ros d’HonorĂ© d’UrfĂ© “En cet Ă©tat, tous les CĂ©ladons du monde n’auraient osĂ© paraĂźtre devant lui” p. 198. Nature bienveillante, aliments simples et purs “du lait doux avec du pain bis, des Ɠufs frais, du beurre nouveau battu et un fromage Ă  la crĂšme”, p. 196, plaisirs innocents de la poĂ©sie et de la musique, tendre Ă©vocation de l’amour naissant les Ă©lĂ©ments sont, lĂ  encore, trop topiques pour n’ĂȘtre pas distanciĂ©s et ironiques – les romans pastoraux authentiques prĂ©sentaient plus de complexitĂ© et de subtilitĂ©. Madame d’Aulnoy s’amuse avec les codes plus qu’elle n’y souscrit Sans-Pair est vĂȘtu comme un acteur de comĂ©die pastorale, avec son “habit de pasteur extrĂȘmement galant” p. 195. Il arrive mĂȘme Ă  la conteuse de subvertir ces stĂ©rĂ©otypes, en particulier lorsqu’elle laisse entendre qu’une destinĂ©e princiĂšre vaut mieux que la vie de berger “Je devais succĂ©der Ă  mon pĂšre un grand royaume rĂ©pare bien des dĂ©fauts”, soupire Sains-Pair p. 198. HonorĂ© d’UrfĂ© prĂ©sentait au contraire des pasteurs qui avaient volontairement quittĂ© les cours empestĂ©es pour s’emparer de la houlette et garder des moutons. Enfin, Madame d’Aulnoy emprunte au roman prĂ©cieux qui avait triomphĂ© au milieu du siĂšcle avec ceux de Madeleine de ScudĂ©ry ArtamĂšne ou le Grand Cyrus, 1649-1653 ; La ClĂ©lie, 1656-1661, et qui Ă©tait trĂšs liĂ© Ă  l’univers des salons. Nos rĂ©cits fourmillent de scĂšnes souvent ressassĂ©es dans les romans de l’ñge baroque, pour le plus grand plaisir du public mondain princesses enfermĂ©es dans des tours Trognon, PrintaniĂšre, Florine
 ; enlĂšvements “L’Oiseau bleu”, p. 99-100; portraits qu’on fait faire p. 58, que l’on demande et mĂȘme qui parlent p. 309, ou dont on tombe amoureux dans “Riquet Ă  la Houppe”, p. 277; lettres interceptĂ©es “Le Rameau d’or”, p. 188; princesses abandonnĂ©es Ă  la naissance p. 172; filles travesties en garçon “Belle-Belle”, p. 307; et bien sĂ»r amour, en un siĂšcle oĂč l’on ne savait concevoir d’autres romans que d’amour. On retrouve aussi des traces de la Carte de Tendre, cĂ©lĂšbre description cartographique du sentiment amoureux insĂ©rĂ© dans La ClĂ©lie “estime” de la princesse pour Riquet chez Perrault p. 283, ou de Florine pour Charmant, ou de Brillante pour Sans-Pair “je sen[s] dĂ©jĂ  une estime particuliĂšre pour vous” p. 195 ; Sans-Pair de son cĂŽtĂ© attend de ses soins une Ă©ventuelle “reconnaissance”. Floride est une fine lectrice de la Carte de Tendre “il m’aimerait par reconnaissance, s’il ne m’aimait pas par inclination” p. 302. Elle espĂšre de la “reconnaissance” de ses soins, Ă  dĂ©faut de vĂ©ritable passion, l’ “inclination”, dont elle sait qu’elle ne se mĂ©rite point Ă  force de “billets doux” ou “de petits services”. Cette “inclination”, l’amour-passion, la beautĂ© dĂ©licate et androgyne de FortunĂ© la fait naĂźtre en revanche malgrĂ© elle malgrĂ© lui dans le cƓur de toutes les femmes de la cour p. 301. Cliquer pour agrandir. “Tendre sur E.” = “Tendre sur Estime”; “Tendre sur I” = “Tendre sur Inclination”; “Tendre sur R.” = “Tendre sur Reconnaissance” Madeleine de ScudĂ©ry renonce certes dans ses romans au merveilleux surnaturel, mais manifeste toutefois un goĂ»t pour les spectacles “enchantĂ©s”, “magiques” et prodigieux” Madame d’Aulnoy poursuit et amplifie cette aspiration au merveilleux qui n’avait pas complĂštement disparu du roman galant du milieu du siĂšcle7 . Tony Gheeraert, “Une allĂ©gorie de la civilitĂ© Cendrillon ou l’art de plaire Ă  la cour. Dix-septiĂšme siĂšcle, Presses Universitaires de France, SociĂ©tĂ© d’études du XVIIe siĂšcle, 2000, p. 485-499, en ligne sur Cairn ou en libre accĂšs sur HAL [↩] Alain GĂ©netiot, PoĂ©tique du loisir mondain, de Voiture Ă  La Fontaine, Paris, Champion, coll. LumiĂšre classique», n° 14, 1997. [↩] Voir Delphine Denis, La muse galante, poĂ©tique de la conversation dans l’Ɠuvre de Madeleine de ScudĂ©ry, Ă©ditions HonorĂ© Champion, LumiĂšre classique n° 12, 1997. Voir aussi Benedetta Craveri, L’ñge de la conversation, Paris, Gallimard, 2002. [↩] Sur ces anthologies de poĂ©sie galante, voir l’ouvrage rĂ©cemment paru de Miriam Speyer, Briller par la diversitĂ© les recueils collectifs de poĂ©sie au XVIIe siĂšcle 1597-1671, Paris, Classiques Garnier Lire le XVIIe siĂšcle, 2021. Ces genres sont aussi recensĂ©s dans La France galante d’Alain Viala op. cit., chapitre 2, “Le Grand SiĂšcle en lettres galantes”, p. 40-83. [↩] Un colloque sur le prosimĂštre s’est tenu l’an dernier Du prosimĂštre au poĂšme en prose, de L’AstrĂ©e aux Petits PoĂšmes en prose, organisĂ© par Miriam Speyer, Marie-Gabrielle Lallemand et Claudine NĂ©dĂ©lec. [↩] Voir Miriam Speyer, qui signale le rapprochement [↩] Voir sur ce point Elisa Biancardi, “De Madeleine de ScudĂ©ry Ă  madame d’Aulnoy esthĂ©tique galante et merveilleux”, in Madeleine de ScudĂ©ry une femme de lettres au XVIIe siĂšcle, Ă©d. Spica et D. Denis, Presses de l’universitĂ© d’Artois, 2002, URL . [↩] Chez Madame d’Aulnoy, le monde des fĂ©es est un univers aristocratique, Ă©lĂ©gant, oĂč rĂšgnent politesse et bonnes maniĂšre, oĂč l’on cultive l’art et le plaisirs de la cour il est placĂ© sous le signe de “la galanterie et la magnificence” p. 93. On reconnaĂźt dans ces deux mots l’inversion du cĂ©lĂšbre incipit de La Princesse de ClĂšves. Le roman de Madame de Lafayette jouissait dĂ©jĂ  d’un prestige tel1 , que l’effet d’intertextualitĂ© n’a pu Ă©chapper Ă  la conteuse ; elle reprend quasiment la mĂȘme tournure un peu plus loin dans notre volume “la galanterie Ă©galait la magnificence”, p. 250. L’adjectif “magnifique” est rĂ©pĂ©tĂ© Ă  trente-trois reprises dans notre corpus. Il signifie qu’il ne suffit pas aux nobles d’ĂȘtre riches est magnifique “celui qui est splendide, somptueux, qui se plaĂźt Ă  faire dĂ©pense [
]. C’est la principale qualitĂ© des princes d’ĂȘtre magnifiques”, explique FuretiĂšre. Il convient donc aux princes des contes, pour ĂȘtre dignes des fonctions qu’ils occupent, de faire montre de leur fortune. La richesse, partout amplifiĂ©e et exaltĂ©e, s’étale aux yeux de tous “L’on n’a jamais vu tant de richesses ensemble” “La Princesse PrintaniĂšre”, p. 140, et chez Perrault, les miroirs de la Barbe bleue sont “les plus magnifiques qu’on eut jamais vus” p. 220. Si cette magnificence est aussi essentielle, c’est qu’elle constitue le signe extĂ©rieur d’une Ă©thique l’étalage ostentatoire des richesses est la face visible d’une morale de la dĂ©pense, de l’ostentation Ă  laquelle la noblesse est astreinte pour soutenir son rang2. La “prĂ©tention aristocratique”, comme l’écrit Pierre Bourdieu dans La Distinction. Critique sociale du jugement Paris, Éditions de Minuit, 1979, “s’affirme universellement par la destruction de richesses, la dĂ©pense ostentatoire, le gaspillage et toutes les formes du luxe gratuit” ; elle s’oppose ainsi Ă  l’utilitarisme bourgeois, mĂ©prisable car il n’entend que les nĂ©cessitĂ©s Ă©conomiques. Nos contes galants et mondains affichent partout cette “prĂ©tention aristocratique”. Les objets d’art, si importants dans nos contes livres et vitraux dĂ©corĂ©s dans “Le Rameau d’or”, p. 81, histoire gravĂ©e dans le cristal de roche, p. 61, tapisseries chez d’Aulnoy, p. 91 et chez Perrault, p. 188, valent par leur inutilitĂ© mĂȘme comme forme parfaite de distinction, comme l’explique encore Bourdieu. Comme Ă  Versailles, paraĂźtre Ă  la cour des royaumes imaginaires exige de participer au dĂ©ploiement du faste curial la mise Ă©clatante, le luxe, la consommation de prestige sont les marques qui rĂ©vĂšlent les Ăąmes bien nĂ©es, libĂ©rales, “gĂ©nĂ©reuses” p. 79 et 185, en un mot magnifiques et princiĂšres. La magnificence se dĂ©ploie sans frein au cours des cĂ©rĂ©monies, des rĂ©ceptions d’ambassadeurs “il n’y aurait rien de si beau que l’entrĂ©e de Fanfarinet” ou des mariages comme celui de Toute-Belle, “grande fĂȘte” au cours de laquelle “on tapissa les rues, elles furent jonchĂ©es de fleurs, le peuple en foule accourut” p. 223. La pauvretĂ© n’est jamais dĂ©sirable chez Madame d’Aulnoy. Contrairement aux hĂ©ros de l’AstrĂ©e, qui avaient dĂ©libĂ©rĂ©ment abandonnĂ© la cour pour mener une vie simple et modeste, Trognon/Brillante souffre de se voir rĂ©duite Ă  l’état de simple bergĂšre “elle n’était plus qu’une bergĂšre, et la perte de son rang ne laissait pas de lui ĂȘtre sensible” p. 194. DĂ©penser sans compter, tel est le rĂȘve d’un groupe social pour qui la consommation somptuaire est devenue indispensable au maintien de son standing. Plus largement, ce parti pris d’ostentation rejoint une conception théùtrale de l’existence, qui fait de la vie princiĂšre un spectacle dont palais et jardins constituent le dĂ©cor scĂ©nique, et le couple hĂ©roĂŻque, les acteurs privilĂ©giĂ©s la Belle endormie est dĂ©crite comme “le plus beau spectacle que [le prince] eĂ»t jamais vu” p. 194 Si la dĂ©pense est une vertu aristocratique, l’épargne, l’intĂ©rĂȘt ou l’avarice, qualitĂ©s bourgeoises, sont dans nos contes le propre des Ăąmes viles, incapables de se distinguer, ignorantes des codes du savoir-vivre et de la civilitĂ©, Ă©trangĂšres aux plaisirs comme aux exigences de la vie de cour. Le pĂšre de PrintaniĂšre, bien bourgeois et populaire, s’inquiĂšte des frais entraĂźnĂ©s par le mariage de sa fille, “qui nous coĂ»te dĂ©jĂ  si cher” p. 145. Le divertissement principal du mariage de Toute-Belle consiste en un don de numĂ©raires versĂ©s Ă  un public incapable de goĂ»ter des divertissements plus raffinĂ©s p. 224 ces dons en espĂšce sont vulgaires et de mauvais prĂ©sage. Mais ce sont surtout les adversaires qui font figure de contre-modĂšles, parce qu’ils s’opposent Ă  la magnificence entendue comme “vertu qui consiste Ă  dĂ©penser son bien Ă  des choses honorables” FuretiĂšre. Truitonne, qui ne propose que cinq sols Ă  Florine en Ă©change des merveilles qu’elle lui offre, ne songe qu’à faire une bonne affaire p. 127 elle montre par lĂ  l’étendue de sa mesquinerie, et manifeste ainsi, par son attitude Ă©goĂŻste et vĂ©nale, qu’elle est indigne du trĂŽne qu’elle prĂ©tend occuper. Grognon, de mĂȘme, ignore l’art exquis de la consommation gratuite elle thĂ©saurise bourgeoisement ses trĂ©sors dans des tonneaux p. 51, fait des “provisions” pour elle-mĂȘme, soustrait pistoles et louis Ă  l’échange, pour les entasser en vrac et jouir de leur seule possession. De telles crĂ©atures ne sauraient trouver place dans l’univers curial et s’en trouvent toujours exclus au dĂ©nouement des contes. Au delĂ  du cadre et du dĂ©cor, les contes sont porteurs d’une vision du monde aristocratique, perpĂ©tuant les valeurs nobiliaires hĂ©ritĂ©es du moyen-Ăąge esprit chevaleresque et courtois, sens de l’honneur, souci de la gloire et de la grandeur. Le prince de “La Belle au bois dormant” est “poussĂ© par l’amour et par la gloire” p. 192. Avenant, comme les chevaliers errants, vient sans espoir de rĂ©compense au secours du corbeau et du hibou, animaux rĂ©putĂ©s mĂ©prisables il est, au sens cornĂ©lien du terme, “gĂ©nĂ©reux” p. 79, comme l’est aussi le prince Percinet, qui sauve sa maĂźtresse sans extorquer de contrepartie. Les vertueuses princesses, elles aussi, Ă©coutent la voix du devoir. Elles se laissent conquĂ©rir Ă  force de prouesses et d’exploits c’est pour complaire Ă  la Belle aux cheveux d’or qu’Avenant triomphe de Galifron et des dragons, comme avant lui les chevaliers mĂ©diĂ©vaux. L’orgueil du sang reste plus que jamais de mise dans ce microcosme oĂč les protagonistes sont du plus haut lignage “Quatre ou cinq douzaines de princesse du sang” se pressent Ă  l’ambassade de Fanfarinet p. 141, comme le prĂ©cise non sans hyperbole la conteuse. Raymonde Robert a insistĂ© sur l’orgueil de caste qui traversait ces contes marquĂ©s par la morale nobiliaire les rĂ©cits-cadres donnent “l’image d’un groupe social restreint, orgueilleusement repliĂ© sur lui-mĂȘme”3 , mais il en va de mĂȘme Ă  l’intĂ©rieur des rĂ©cits. Toute-Belle, “destinĂ©e Ă  porter une couronne” p. 214 a “l’orgueil” propre Ă  son rang p. 215, et refuse les prĂ©tendants qu’elle juge indignes d’elle. Sa mĂšre, certes soucieuse de trouver un mari Ă  sa fille, s’inquiĂšte nĂ©anmoins qu’elle puisse Ă©pouser “quelque chose au-dessous” d’elle p. 215. Nadine Jasmin parle d’une “exacerbation de l’idĂ©al nobiliaire”4 . HĂ©ros et hĂ©roĂŻnes sont obsĂ©dĂ©s par le risque de mĂ©salliance, dont le Nain menace lui-mĂȘme Toute-Belle en la mettant au dĂ©fi de prĂ©fĂ©rer la mort “Vous aurez au moins la gloire de mourir fille, lui dit-il, et de ne pas mĂ©sallier votre Ă©clatant mĂ©rite avec un misĂ©rable nain tel que moi”, p. 220. . Gracieuse, toute imbue de sa haute naissance, se sent outragĂ©e d’ĂȘtre courtisĂ©e par un simple page “Quoi ! un page, s’écria la princesse, un page a l’audace de me dire qu’il m’aime ! Voici le comble Ă  mes disgrĂąces.”. La reine des MĂ©tĂ©ores reproche Ă  Sans-Pair sa passion “disproportionnĂ©e” pour une “petite bergĂšre” p. 207, objection que le prince ne rĂ©fute pas sur le fond. PrintaniĂšre manque de pĂ©rir pour avoir suivi son cƓur “Je sais que vous n’ĂȘtes pas prince, vous me plaisez autant que si vous l’étiez”, p. 143 la suite de l’histoire condamnera sa lĂ©gĂšretĂ©. La Belle aux cheveux d’or, symĂ©trique de PrintaniĂšre, Ă©pouse avec bonheur l’ambassadeur venu l’épouser au nom de son maĂźtre ; mais le conte souligne discrĂštement la gravitĂ© de la mĂ©salliance le gĂ©ant Galifron a pour anagramme forligna. Le mot suggĂšre que la Belle s’est mariĂ©e au-dessous d’elle “Forligner
 on le dit particuliĂšrement de ceux qui se sont mĂ©salliĂ©s”, Ă©crit FuretiĂšre. Plusieurs contes de Perrault semblent admettre plus de fluiditĂ© sociale Cendrillon, fille de hobereau, Ă©pouse un prince, de mĂȘme que l’hĂ©roĂŻne des “FĂ©es”, mais dans ce dernier conte, l’intention satirique est si forte qu’il serait imprudent de conclure Ă  une sympathie plus grande de Perrault pour les unions socialement mixtes. Mademoiselle, alias Elisabeth-Charlotte d’OrlĂ©ans 1676-1744, fille de Madame et de Monsieur, aurait-elle inspirĂ© “La Belle” et “Toute-Belle” ? Cliquer pour agrandir. L’ombre des Grands de la cour flotte sur nos deux volumes, dĂ©diĂ©s Ă  deux princesses du sang, la Palatine et sa fille, Elisabeth-Charlotte d’OrlĂ©ans. Madame d’Aulnoy n’oublie pas non plus, de faire sa cour Ă  la nouvelle coqueluche de la cour, la jeune et brillante Marie-AdĂ©laĂŻde de Savoie, qui, Ă  douze ans, en dĂ©cembre 1697, devient l’épouse du duc de Bourgogne, petit-fils du roi et destinĂ© Ă  lui succĂ©der un jour DĂ©sirĂ©e “avait les mĂȘmes attraits / Que fit briller AdĂ©laĂŻde, / Quant, l’hymen lui servant de guide, / Elle vint dans ces lieux pour cimenter la paix”, p. 258. La vivacitĂ© de la jeune Savoyarde Ă©gayait Versailles en ces annĂ©es sombres, et rĂ©jouissait en particulier le roi qui rapidement ne put se passer de sa prĂ©sence. “Il ne faut Ă  votre Cour que de jolies personnes”, reprochait Magotine Ă  la mĂšre de Laideronette au seuil de “Serpentin Vert” tels sont en effet les seuls habitants admis Ă  frĂ©quenter les palais de fĂ©erie. Aux princesses nommĂ©ment dĂ©signĂ©es s’ajoutent de possibles allusions. Ute Heidmann5 voit dans “La Belle” un double d’Elisabeth-Charlotte, destinataire des Histoires ou contes du temps passĂ© en effet, malgrĂ© la noblesse de son lignage, “Mademoiselle Ă©tait une victime de guerre”6 , condamnĂ©e par la situation internationale Ă  rester cĂ©libataire le temps du conflit. A l’époque des contes, elle s’apprĂȘtait, disait-on, Ă  coiffer sainte Catherine. Le parallĂšle avec une princesse condamnĂ©e Ă  “attendre cent ans pour avoir un Ă©poux”, “et toujours en dormant”, est effectivement trĂšs tentant. Est-il interdit de voir aussi des Ă©chos des relations entre la Palatine et sa fille dans les personnages royaux du “Nain Jaune” ? Toute-Belle, orgueilleuse, rejetant toutes les propositions par crainte de mĂ©salliance, n’est pas sans entretenir aussi des ressemblances avec Elisabeth-Charlotte, dont le caractĂšre Ă©tait difficile et hautain, et que Madame d’Aulnoy dĂ©signe comme “destinĂ©e Ă  porter une couronne” p. 214 on reconnaĂźt ici quasi les mĂȘmes termes que ceux de l’épigraphe des Histoires ou contes du temps passĂ©, “Je suis belle et suis nĂ©e / Pour ĂȘtre couronnĂ©e”7 . “On la voyait presque toujours vĂȘtue en Pallas ou en Diane
”. Portrait de Mademoiselle, Élisabeth Charlotte of Bourbon-OrlĂ©ans 1676-1744, en Diane, conservĂ© au palais de chasse des Stupinigi. Merci Ă  Constance Cagnat d’avoir signalĂ© ce rapprochement. L’acharnement de la reine Ă  marier la princesse rappelle les tentatives dĂ©sespĂ©rĂ©es de la Palatine pour trouver un parti Ă  Elisabeth-Charlotte, jusqu’à jeter les yeux sur Guillaume d’Orange, roi d’Angleterre, principal adversaire de la France au cours de la Guerre de la Ligue d’Augsbourg. Cette alliance matrimoniale, Ă©videmment, ne put se conclure. “Le Nain Jaune” relaterait-il de façon allĂ©gorique la tentative de mariage ratĂ© avec Guillaume d’Orange ? On peut en faire l’hypothĂšse la rĂ©pugnante crĂ©ature n’est pas sans ressembler par la couleur Ă  “l’Oiseau Jaune” qui dĂ©signe sans ambiguĂŻtĂ© le roi d’Angleterre dans “Sans Parangon” de PrĂ©chac, conteur lui-mĂȘme trĂšs liĂ© aux OrlĂ©ans8 . Par ailleurs, la mise en cause des prouesses sexuelles dont est capable le Nain “elle m’aura jour et nuit auprĂšs d’elle, beau, dispos et gaillard comme vous me voyez” est Ă©videmment ironique, p. 218 fait Ă©cho aux rumeurs sur l’homosexualitĂ© de Guillaume d’Orange, et auxquels la Palatine contribua9 . L’histoire finira plus mal pour Toute-Belle que pour Mademoiselle celle-ci finira par se marier aprĂšs la guerre, Ă  un Ăąge avancĂ© pour une princesse de l’époque, en 1698, avec LĂ©opold Ier. Elle deviendra alors duchesse de la “cour souveraine de Lorraine”, créée la mĂȘme annĂ©e. Notons pour terminer que, dans “La Princesse Rosette”, l’expression puĂ©rile employĂ©e par la narratrice, “il n’y avait ni Monsieur ni Madame qui ne s’en retournassent contents”, p. 162 peut aussi renvoyer au frĂšre du roi et Ă  son Ă©pouse, la princesse Palatine. Madame, alias Élisabeth-Charlotte de BaviĂšre, d’aprĂšs Hyacinthe Rigaud, 1713. Cliquer pour agrandir. Madame de Lafayette est proposĂ©e en modĂšle par LhĂ©ritier, voir plus haut [↩] Sur la magnificence, voir en particulier Nadine Jasmin, Mots et merveilles, op. cit., p. 248-259. [↩] Le Conte de fĂ©es littĂ©raire en France, op. cit., p. 350. [↩] Nadine Jasmin, Mots et merveilles, op. cit., p. 207 sqq. [↩] Ute Heidmann, Ces images qui dĂ©trompent
 Pour une lecture iconotextuelle des recueils manuscrit 1695 et imprimĂ© 1697 des contes de Perrault », FĂ©eries, 11 2014. URL [↩] Arlette Lebigre, La Princesse Palatine, Paris, Albin Michel, 1986. [↩] Texte malheureusement absent de notre Ă©dition on se reportera Ă  la section des illustrations et des textes originaux du prĂ©sent blog. [↩] PrĂ©chac Ă©tait gentihomme ordinaire d’OrlĂ©ans et avait Ă©tĂ© professeur d’espagnol de Marie-Louise. Voir notre Ă©dition des conteurs masculins de la fin du XVIIe siĂšcle, Paris, Champion, 2005. [↩] “Ce qu’on dit du roi Guillaume n’est que trop vrai, il change souvent de favori, aprĂšs Bentick et Keppel, il en a un autre. Il n’y a rien d’étonnant que sa femme n’ait pas eu de rivale de son vivant. Ceux qui ont ces goĂ»ts-lĂ  se moquent pas mal des femmes”, la princesse Palatine est ici citĂ©e par Michel LariviĂšre, Dictionnaire historique des cĂ©lĂšbres, 2017. [↩] L’ñge du rococo, qui naĂźt Ă  la toute fin du XVIIe siĂšcle et envahit l’Europe dans les dĂ©cennies suivantes, correspondit prĂ©cisĂ©ment au siĂšcle des contes. Style dĂ©coratif du XVIIIe siĂšcle », le rococo est caractĂ©risĂ© par la profusion ornementale, le goĂ»t des courbes et des contrecourbes, des formes tourmentĂ©es, des couleurs variĂ©es », explique Raymonde Robert qui voit dans les contes de l’époque des Ă©chos du goĂ»t naissant pour le rococo1 . Les premiers ornemanistes qu’on associera plus tard au style “rococo” sont les exacts contemporains de nos conteurs Jean BĂ©rain pĂšre 1640-1711, qui donnera naissance au “style BĂ©rain”, ou Pierre Lepautre 1652-1716, dont les rĂ©alisations exercĂšrent rapidement une influence internationale. Style BĂ©rain. Cliquer pour agrandir. Ces liens entre féérie et rococo ont Ă©tĂ© confirmĂ©s et approfondis rĂ©cemment par Kim Gladu, qui souligne en particulier la relation Ă©troite entre galanterie et rococo. Le conte est l’un des lieux oĂč se manifeste le plus fortement cette intrication2. Rococo et galanterie partagent bien des points communs Ă  la surenchĂšre dĂ©corative et Ă  la dĂ©licatesse ornementale rĂ©pond une littĂ©rature du plaisir, de la grĂące, de la sĂ©duction, et de l’abondance stylistique. La galanterie littĂ©raire se plaira Ă  mettre en scĂšne certains des procĂ©dĂ©s esthĂ©tiques les plus rĂ©pandus dans l’art rococo une surabondance d’ornements dĂ©coratifs, une galantisation » des thĂšmes mythologiques, une reprĂ©sentation de l’amour que marque la voluptĂ© et une idĂ©e du bonheur qui prend diverses formes, allant d’une nostalgie de l’ñge d’or pastoral aux plaisirs bachiques de la sociabilitĂ© Si l’esthĂ©tique rococo convient si bien au conte de fĂ©es, expliquait dĂ©jĂ  Jean Starobinski dans L’Invention de la libertĂ©, c’est que l’un comme l’autre sont associĂ©s au fĂ©minin et aux puĂ©rilitĂ©s. La vogue europĂ©enne du conte de fĂ©es [
] accentue encore le climat d’enfantillage ou d’amenuisement dont le rococo s’accompagne »4 , et qui domine par exemple dans “La Princesse Rosette”, le plus infantile des contes de notre corpus, comme on l’a vu. Bien des Ă©lĂ©ments dĂ©coratifs dans nos textes rĂ©vĂšlent l’affinitĂ© entre nos contes et le style rococo ou style rocaille qui Ă©mergeait alors, et qui Ă©tait appelĂ© Ă  dominer dans les intĂ©rieurs mondains pendant une grande partie du XVIIIe siĂšcle. Pierreries, bibelots, dorures, dĂ©corations fleuries, grottes et rocailles, palais de cristal, gazons semĂ©s de rubis et d’émeraudes, volutes serpentines et arabesques sinueuses reflĂštent dans nos contes le goĂ»t pour une dĂ©coration d’intĂ©rieur luxueuse et intime, qui s’accorde avec un esprit galant placĂ© de plus en plus sous le signe de l’hĂ©donisme. FraĂźcheur et grĂące ingĂ©nieuse, volontiers teintĂ©es d’un Ă©rotisme dĂ©licat, sont autant de caractĂšres qu’on retrouve, transposĂ©s, dans l’esthĂ©tique des contes de fĂ©es, qui sont comme des copies embellies, exubĂ©rantes et prolifĂ©rantes, des mobiliers et des dĂ©cors du temps. Notre corpus ne retient pas les extraordinaires “girandoles” de “La Chatte blanche”, chandeliers torsadĂ©s ornĂ©s de pendeloques dans le pur goĂ»t rococo ; nĂ©anmoins, nos contes ne manquent pas de nacre, de perles, de lustres, de lumiĂšre, et de mille exemples d’une ornementation superflue constitutive de l’esthĂ©tique rocaille. Cabinet attribuĂ© Ă  Pierre Gole 1670, conservĂ© Ă  Nostell Priory, et inspirĂ© par le grand Cabinet rĂ©alisĂ© pour Louis XIV, aujourd’hui disparu. Cliquer pour agrandir. “La richesse des meubles” “Le Rameau d’or”, p. 183, dont les tiroirs sont “en cristal de roche gravĂ©, ou d’ambre, ou de pierres prĂ©cieuses”, dĂ©corĂ©s de “nacre de perle” p. 181 rappellent les marqueteries des Ă©bĂ©nistes du roi travaillant aux Gobelins, AndrĂ©-Charles Boulle 1642-1732 ou Pierre Gole 1620-1684. On doit Ă  ce dernier un “grand cabinet” que les factures des livraisons Ă  la couronne dĂ©crivent en des termes semblables Ă  ceux bientĂŽt employĂ©s pour le mobilier des contes de fĂ©es, ainsi ce “fond d’ivoire Ă  fleurs, oiseaux et papillons de bois de diverses couleurs
”5 . Les meubles ne sont pas moins somptueux chez Perrault, en particulier chez la Barbe Bleue, oĂč l’on ne saurait compter “le nombre et la beautĂ© des tapisseries, des lits, des sofas, des cabinets, des guĂ©ridons, des tables et des miroirs” p. 222. L’exotique sofa, au sens de canapĂ© d’inspiration orientale, Ă©tait si nouveau Ă  l’époque, que FuretiĂšre ne retient pas cette acception du terme dans son Dictionnaire universel. Dans “Le Rameau d’or”, c’est toute la dĂ©coration intĂ©rieure qui se trouve envahie par un luxe rococo “vestibule tout de porphyre”, “degrĂ© d’agate dont la rampe Ă©tait d’or”, “salon tout de lapis” p. 183. Vase milanais en cristal-de-roche, entrĂ© dans la collection du roi avant 1673 et conservĂ© aujourd’hui au musĂ©e du Louvre. Cliquer pour agrandir. Dans “Le Nain Jaune”, les prĂ©cieux “vases d’or d’un travail merveilleux”, voisinant “l’ambre gris”, “le corail”, et “les perles”, ou, dans “La Chatte blanche”, les “vases en cristal de roche” paraissent sortis tout droit de l’incroyable collection de vases de grand prix que possĂ©dait le Dauphin6 . Reconstitution 3D par le MusĂ©um national d’histoire naturelle du Diamant bleu. Cliquer pour agrandir. Le “cƓur d’un rubis gros comme un Ɠuf d’autruche” p. 97 peut avoir Ă©tĂ© inspirĂ© par le “diamant bleu de la Couronne de France”, venu d’Inde, retaillĂ© en forme de cƓur dans les annĂ©es 1670 par le bijoutier Pittau, et qui devait devenir l’un des plus fabuleux joyaux de la couronne de France jusqu’à sa disparition en 1792. La fourchette, apparue depuis peu sur les tables de la cour, rejoint chez Perrault la cuiller et le couteau dans le palais de la Belle p. 186. ThĂ©iĂšre en porcelaine tendre de Saint-Cloud c’est-Ă -dire sans kaolin. L’objet reprĂ©sentĂ© date de 1720, mais la manufacture commence Ă  produire dĂšs la fin du XVIIe siĂšcle. Cliquer pour agrandir. Il en va de mĂȘme de la porcelaine, alors rare, coĂ»teuse Ă  faire venir de Chine, et complexe Ă  fabriquer en occident Ă  une date oĂč l’on n’y incorporait pas encore de kaolin il fallait donc Ă©viter de les briser par maladresse, comme la princesse de “Riquet Ă  la houppe”, qui “n’eĂ»t pu ranger quatre porcelaines sur le bord d’une cheminĂ©e sans en casser une” p. 276. Les contes reflĂštent ainsi la pullulation » contemporaine des menus objets bibelots venus de Chine, porcelaines dĂ©coratives, bonbonniĂšres, tabatiĂšres miniatures. »7 . La porcelaine, dont le secret sera bientĂŽt percĂ© en Europe, est appelĂ©e Ă  prolifĂ©rer encore bien davantage dans la féérie du XVIIIe siĂšcle “L’origine des Pagodes”, conte de 1731, raconte ainsi l’histoire d’un prince mĂ©tamorphosĂ© en pot Ă  thĂ©. Les grands miroirs, dont nous parlions Ă  la fin du billet prĂ©cĂ©dent, constituent la piĂšce rococo par excellence, surtout lorsqu’ils sont finement dĂ©corĂ©s, comme ceux de la Barbe bleue, oĂč l’on trouve des miroirs oĂč l’on se voyait depuis les pieds jusqu’à la tĂȘte, et dont les bordures, les unes de glace, les autres d’argent et de vermeil dorĂ©, Ă©taient les plus belles et les plus magnifiques qu’on eĂ»t jamais vues. p. 220 Les motifs floraux constituent un autre Ă©lĂ©ment trĂšs prĂ©sent dans la dĂ©coration rococo, qui se plaĂźt aux motifs vĂ©gĂ©taux exubĂ©rants, comme ces “feuilles d’émeraude” sur la couronne de Gracieuse p. 52. Plus gĂ©nĂ©ralement, c’est la nature tout entiĂšre qui s’artificialise et devient dĂ©coration rococo rien de moins naturelle que la vĂ©gĂ©tation des contes. Les plantes n’y sont que des bibelots en forme de vĂ©gĂ©taux, ainsi dans “Le rameau d’or”, oĂč le rameau apparaĂźt tout chargĂ© de rubis qui formaient des cerises » p. 184 et de nouveau p. 211. Lorsque Grillon, Sauterelle et Souris parviennent au rameau enchantĂ©, ils dĂ©couvrent un jardin artificiel et minĂ©ral, dont les fleurs sont de pierres prĂ©cieuses, et dans lesquels l’on reconnaĂźt le goĂ»t du rococo pour la minĂ©ralisation des motifs naturels ». Ils arrivĂšrent ainsi au Rameau d’Or. Il Ă©tait plantĂ© au milieu d’un jardin merveilleux ; au lieu de sable, les allĂ©es Ă©taient remplies de petites perles orientales plus rondes que des pois ; les roses Ă©taient de diamants incarnats, et les feuilles d’émeraudes, les fleurs des grenades, de grenats ; les soucis, de topazes les jonquilles, de brillants jaunes ; les violettes, de saphirs les bluets, de turquoises ; les tulipes, d’amĂ©thystes, opales et diamants p. 210 Les animaux n’ont pas plus de rĂ©alitĂ© biologique dans cette nature factice le papillon, animal rococo qui figurera bientĂŽt sur les tentures de Chantilly8 , n’est qu’un matĂ©riau dĂ©coratif entre les mains des artistes habiles ainsi les tailleurs et couturiĂšres qui confectionnent la tenue de PrintaniĂšre, vĂȘtue d’une “jupe d’ailes de papillons d’un travail merveilleux”. Le motif rĂ©apparaĂźt ailleurs dans le corpus, ainsi dans “La Chatte blanche”, le plus rococo des contes de Madame d’Aulnoy, oĂč les ailes dĂ©licates servent Ă  la dĂ©coration du palais, et qui constituent comme des fleurs superlatives, selon un procĂ©dĂ© qui s’apparente Ă  ces mĂ©taphores au carrĂ© dĂ©crites par Jean Rousset dans CircĂ© et le paon9 tout Ă©tait tapissĂ© d’ailes de papillon, dont les diverses couleurs formaient mille fleurs diffĂ©rentes ». De mĂȘme, dans Le Prince Marcassin », le gazon naturel sur lequel la princesse pense ĂȘtre couchĂ©e est-il en fait un matelas ce lit qui vous paraĂźt de mousse est d’excellent duvet et de fine laine ». Chez Madame d’Aulnoy, l’art imite la nature, et non l’inverse, comme le montrent les bouquets de pierreries qui imitaient la couleur des fleurs », offertes par l’Oiseau bleu Ă  Florine p. 109. La nature dans les contes n’entretient en rien un rapport mimĂ©tique avec l’humble rĂ©alitĂ© des champs et des bois elle n’est qu’un dĂ©cor factice en style rocaille, qui a pour effet de transformer le conte tout entier en objet d’art dĂ©coratif. Le rococo n’est pas seulement un cadre dans lequel s’insĂšre une narration il existe un rapport d’homologie entre style dĂ©coratif et esthĂ©tique des contes, bien remarquĂ© par Raymonde Robert10 , perceptible par exemple dans les longues descriptions inutiles Ă  l’action, sans rĂ©elle fonction narrative, et qui sont l’équivalent littĂ©raire des surcharges dĂ©coratives des architectures rocaille, purement ornementales et qui ne visent qu’au pur plaisir. Prolongements Raymonde Robert, “DĂ©cor de la fĂ©erie, fĂ©erie du dĂ©cor”, in Le Conte de fĂ©es littĂ©raire en France, op. cit., p. 371-388. Kim Gladu FĂ©erie du dĂ©cor », in La grandeur des petits genres. L’esthĂ©tique rococo Ă  l’ñge de la galanterie, sous la direction de Kim Gladu, Hermann, 2019, p. 213-229, URL Pour une discussion rĂ©cente sur la pertinence de la notion de “rococo”, voir Floriane DaguisĂ©, “Le rococo une coquille vide ? Pertinence et impertinence d’une construction historiographique”, en ligne sur le carnet du “SĂ©minaire XVII” Voir le chapitre que Raymonde Robert consacre Ă  cette question dans son Conte de fĂ©es littĂ©raire en France, op. cit., p. 379 sqq. [↩] Gladu Kim, La grandeur des petits genres. L’esthĂ©tique rococo Ă  l’ñge de la galanterie. Hermann, Les collections de la RĂ©publique des Lettres », 2019. [↩] Kim Gladu, ibid., “FĂ©erie du dĂ©cor” [↩] Jean Starobinski, L’Invention de la libertĂ©, Skira, 1964 p. 23; reparu chez Gallimard. [↩] ThĂ©odor Herman Lunsingh Scheurleer, Pierre Gole, Ă©bĂ©niste de Louis XIV, Editions Faton, 2005. [↩] Voir StĂ©phane Castelluccio, “La collection de vases en pierres dures du Grand Dauphin”, Versalia. Revue de la SociĂ©tĂ© des Amis de Versailles, 2001, 4, p. 38-59. [↩] Jean Starobinski, L’Invention de la libertĂ©, Skira, REF, p. 23. [↩] Voir Kim Gladu, ibid. [↩] J. Rousset, CircĂ© et le paon. La littĂ©rature baroque en France, Paris, J. Corti, 1954. [↩] Le Conte de fĂ©es littĂ©raire en France, op. cit., p. 376. [↩] Pendant longtemps, les cercles littĂ©raires du XVIIe siĂšcle n’eurent pas bonne presse les PrĂ©cieuses Ă©taient nĂ©cessairement ridicules. Lagarde et Michard se montrent certes assez neutres et mĂȘme laudatifs lorsqu’ils Ă©voquent la Chambre bleue de Madame de Rambouillet, mais les autres salons, de la fin du XVIe jusqu’aux annĂ©es 1660, leur paraissent surtout s’abandonner “aux excĂšs de la PrĂ©ciositĂ© la plus ridicule”1 . Le cĂ©lĂšbre manuel approuve le point de vue trĂšs critique adoptĂ© par MoliĂšre, Boileau et l’abbĂ© de Pure Ă  l’encontre des femmes Ă©crivains et de leurs amis2 . Une mise en contexte historique et social ne tourne pas non plus nĂ©cessairement en faveur de nos auteurs et autrices pendant qu’une Ă©lite Ă©troite et polie se livrait dans les salons aux extravagances vestimentaires, pratiquait un badinage enjouĂ© et ludique, s’abandonnait aux Ă©lĂ©gances futiles et frivoles, et se ruinait en dĂ©penses somptuaires, “vingt millions de Français” mouraient littĂ©ralement de faim les annĂ©es 1693-1694, au moment mĂȘme oĂč Perrault et Boileau Ă©changeaient des amabilitĂ©s et oĂč les Modernes composaient leurs contes “à la mode”, furent catastrophiques pour les Français qui succombaient au froid, Ă  la guerre et Ă  la famine3 . Il ne faut donc pas s’étonner si, pendant longtemps, “PrĂ©ciositĂ©â€ et esprit salonnard subirent un discrĂ©dit, en particulier Ă  l’époque oĂč les approches marxisantes dominaient la critique littĂ©raire. Au seuil des annĂ©es 1980, Raymonde Robert manifestait encore bien des rĂ©serves lorsqu’elle Ă©voquait le monde des contes, nĂ©s selon elle dans un “climat de coterie”, et reflet embelli d’aspirations Ă©manant d’un groupe d’aristocrates rĂȘvant de profusion et de richesses. Aujourd’hui, l’esthĂ©tique des salons est réévaluĂ©e on dĂ©couvre, depuis une vingtaine d’annĂ©es, que la mondanitĂ© expĂ©rimentait une forme de sociabilitĂ©, et travaillait Ă  l’indĂ©pendance ainsi qu’à la promotion des femmes, talentueuses et Ă©duquĂ©es. Ces cercles n’étaient pas si fermĂ©s, au contraire, puisqu’ils Ă©taient prĂ©cisĂ©ment ouverts Ă  un public dĂ©pourvu d’érudition et de formation scolaire. Quant Ă  nos contes, loin d’ĂȘtre dĂ©crochĂ©s de toute rĂ©alitĂ© concrĂšte, ils proposaient souvent une peinture satirique et critique de leur Ă©poque, et Ɠuvraient Ă  une modification des rapports entre les genres. Les conteuses et leur public ne sont justement pas de ces PrĂ©cieuses “toujours tendres et sĂ©rieuses” [qui] ”ne veulent ouĂŻr parler que d’affaires de cƓur”, ironise Perrault p. 165. Effectivement les conteuses n’avaient rien de prudes effarouchĂ©es Ă  la moindre syllabe sale. Certaines menaient une vie dĂ©sordonnĂ©e et scandaleuse Madame d’Aulnoy, Ă  l’époque qui nous intĂ©resse, sort Ă  peine d’un “confinement” conventuel oĂč l’avaient menĂ©e, par ordre du roi, ses crimes et sa passion du jeu. Madame de Murat, libertine et lesbienne, est marginalisĂ©e et bientĂŽt exilĂ©e puis enfermĂ©e. La vie de Mademoiselle de LhĂ©ritier est plus rangĂ©e, mais c’est peut-ĂȘtre aussi qu’elle n’est pas bien riche, et ne vit que grĂące Ă  la gĂ©nĂ©rositĂ© de quelques protectrices haut placĂ©es, comme la duchesse d’Epernon, dĂ©dicataire des Enchantements de l’éloquence. Si les hĂ©roĂŻnes des contes se meuvent avec une aisance apparente dans la culture mondaine, les autrices ne sauraient entretenir qu’un rapport dĂ©calĂ© avec cet univers de prestige et de dĂ©pense qu’elles nous donnent Ă  lire. Nous verrons au cours des prochains billets que, certes, les contes mettent en scĂšne l’univers curial et mondain, mais que bien des dissonances interdisent d’y voir seulement le reflet idĂ©alisĂ© d’une Ă©lite apaisĂ©e et harmonieuse. En outre, nous verrons qu’il est difficile de traiter ici conjointement le cas de madame d’Aulnoy et celui de Perrault celui-ci, dans certains de ses textes, semble s’écarter de la formule pratiquĂ©e par l’ensemble des conteuses de son temps. * Louis XIV dans le rĂŽle d’ de Gissey, Ballet de la nuit, 1653. Mss BibliothĂšque de l’Institut. Cliquer pour agrandir Les Ɠuvres de Madame d’Aulnoy sont Ă  l’évidence imprĂ©gnĂ©es de culture galante et aristocratique. Telle est l’une des particularitĂ©s du conte de fĂ©es littĂ©raire français, qui se distingue de ce point de vue des textes populaires, mais aussi de ceux de Straparole et de Basile les rĂ©cits se dĂ©roulent dans un cadre curial raffinĂ© et luxueux, complaisamment dĂ©crit. Les personnages y sont des rois, des reines, de “grands” et de “petits” princes Aulnoy, p. 160, et des princesses toujours les plus belles du monde Perrault, p. 192. La cĂ©lĂšbre formule d’ouverture, “il Ă©tait une fois” ou “il y avait une fois”, prĂ©tend nous entraĂźner dans un “royaume de fĂ©erie” merveilleux ou fantastique. En rĂ©alitĂ©, l’univers des contes reflĂšte Ă  bien des Ă©gards la sociĂ©tĂ© mondaine dans laquelle Ă©voluent autrices et lectrices des contes ils sont des “miroirs de leur temps”, Ă©crit Raymonde Robert, qui insiste sur l’idĂ©alisation de ce cadre curial et mondain. Le dĂ©cor somptueux, les fĂȘtes omniprĂ©sentes renvoient aux divertissements goĂ»tĂ©s par l’élite Ă  la fin du siĂšcle l’on donne dans les contes Ă  notre programme des “parties de plaisirs” Aulnoy, p. 98 ainsi que “bal, ballet et comĂ©die” Ă  l’aprĂšs-dĂźnĂ©e p. 143, comme l’on faisait chez le roi ou au chĂąteau de Sceaux, ailleurs encore des “courses de bague” dans “Le Prince Marcassin” par exemple, jeu Ă©questre qui a succĂ©dĂ© au tournoi mĂ©diĂ©val. De mĂȘme dans “La Barbe bleue”, oĂč “ce n’était que promenades, que parties de chasse et de pĂȘche, que danses et festins, que collations on ne dormait point, et on passait toute la nuit Ă  se faire des malices les uns aux autres” p. 220. Dans “La Belle aux cheveux d’or”, l’on “soupe Ă  merveille” p. 78. On aime les curiositĂ©s Ă©tranges, les animaux rares, colorĂ©s, exotiques, “toutes sortes de bĂȘtes rares” p. 167 paons dans “La Princesse Rosette” p. 162, Ă©lĂ©phants p. 140, perroquets p. 68, singes Ă©galement chez Perrault p. 198, mais aussi animaux de compagnie, rĂ©servĂ©s aux plus fortunĂ©s, comme Pouffe Perrault, p. 191 ou FrĂ©tillon Aulnoy, p. 165. Philippe de Champaigne, VanitĂ©. DĂ©tail. Cliquer pour agrandir. Madame d’Aulnoy nous en prĂ©vient dĂšs le titre de sa seconde sĂ©rie de publications ses fĂ©es sont “à la mode” nos contes de fĂ©es comportent de nombreuses allusions trĂšs prĂ©cises et concrĂštes aux raffinements de l’existence dans la haute sociĂ©tĂ©. Le nom mĂȘme de la fĂ©e Tulipe, protectrice de la reine dans “La Biche au bois” p. 264, suffit Ă  renvoyer Ă  cette atmosphĂšre de dĂ©pense, de luxe et de vanitĂ© depuis que la tulipe avait fait l’objet de spĂ©culations qui avaient dĂ©bouchĂ© sur le premier crash Ă©conomique de l’histoire moderne 1637, elle Ă©tait dĂ©sormais le symbole des beautĂ© Ă©phĂ©mĂšres, fragiles, et inutiles, prĂ©sent sur nombre de natures mortes, mais figurant aussi Ă  ce titre dans le chapitre XIII des CaractĂšres de La BruyĂšre justement consacrĂ© Ă  la mode. Les contes apparaissent ainsi greffĂ©s sur une rĂ©alitĂ© d’autant plus insaisissable pour nous que la mode est, par essence, fugitive quelques Ă©claircissements sont nĂ©cessaires. Les tissus et les accessoires vestimentaires sont prĂ©cisĂ©ment documentĂ©s “Toile de hollande” p. 325, “garniture” et â€œĂ©pingles d’Angleterre” Perrault p. 260 et Aulnoy, p 176 sont un luxe quasi inaccessible, au sortir de longues annĂ©es de guerre marquĂ©es par les blocus maritimes. Quant aux “dentelles” et aux “bas de soie”, ils ne sont pas rĂ©servĂ©s aux Ă©lĂ©gantes mais portĂ©s aussi par les hommes ; le roi des Mines d’or dĂ©cide mĂȘme pour tromper la FĂ©e du DĂ©sert d’arborer des mouches, rĂ©servĂ©es aux dames coquettes p. 230. Fanfarinet est Ă©galement parĂ© avec une extravagance qui aurait dĂ» inquiĂ©ter la princesse et ses suivantes p. 139. Fanfarinet avait un habit tout en broderie, des perles, des bottes d’or, des plumes incarnates, des rubans partout, et tant de diamants car le roi Merlin en avait des chambres pleines que le soleil brillait moins que lui. p. 139 Dans “La Belle au bois dormant”, on recourt pour tenter de rĂ©veiller la princesse Ă  “l’eau de la reine de Hongrie” p. 189, parfum prĂ©cieux Ă  base d’alcool, utilisĂ© aussi Ă  des fins thĂ©rapeutiques, dont Madame de SĂ©vignĂ© faisait grand usage. La tentetive Ă©choue la technique moderne, pour une fois, Ă©choue ici face aux sortilĂšges de fĂ©es. Les raffinements de la table ne sont pas oubliĂ©s, en ce siĂšcle de Louis XIV qui connut aussi une rĂ©volution culinaire4 si la “sauce Robert”, Ă  la moutarde et aux petits oignons, est plutĂŽt un assaisonnement d’autrefois, dĂ©jĂ  connu de Rabelais, le chocolat en revanche, qui tourne la tĂȘte de Fanfarinet, est nouvellement introduit en France p. 142. On trouve aussi, dans “Le Mouton”, force cafĂ©s, sorbets, limonades, tels qu’on les servait depuis peu 1686 au cafĂ© Procope. Un cavalier et une dame buvant du chocolat, Robert Bonnart 1652-1733, BnF, dĂ©partement des Mss. Cliquer pour agrandir. Les uns prenaient du cafĂ©, du sorbet, des glaces, de la limonade, les autres des fraises, de la crĂšme et des confitures les uns jouaient Ă  la bassette, d’autres au lansquenet. Madame d’Aulnoy, Le Mouton Rosette se rĂ©gale aussi de “confitures”, que FrĂ©tillon dĂ©robe au chĂąteau. Il peut s’agir de confiture liquide, ou plus vraisemblablement de fruits confits, qu’on appelait “confitures sĂšches” et qui “s’emportent dans la poche” FuretiĂšre. Les mĂ©tiers de confiseur et de confiturier Ă©taient Ă  la mode on avait publiĂ© un traitĂ© sur la maniĂšre de confire les fruits, en 1689, Le TraitĂ© de confitures, ou le nouveau et parfait confiturier. “
Les unes lui apportĂšrent des confitures, les autres du sucre” La Princesse Rosette, cliquer pour agrandir Quant Ă  PrintaniĂšre, elle trouve dans les buissons d’une Ăźle dĂ©serte “dragĂ©es” et “tartelettes” en provenance directe du pĂątissier Le Coq p. 152 Ă  l’invraisemblance s’ajoute le tĂ©lescopage entre rĂ©cit fĂ©erique censĂ© se dĂ©rouler autrefois, et realia en vogue dans le Paris chic. Ces accessoires dernier cri et autres friandises de luxe crĂ©ent une connivence avec le public mondain l’élite parisienne des annĂ©es 1690 identifiait aussitĂŽt ces dissonances modernes dans des contes rĂ©putĂ©s anciens et populaires, et manifestaient le triomphe du raffinement et du savoir-vivre national, dans un esprit moderne cĂ©lĂ©brant le progrĂšs et le raffinement des mƓurs, Marie-Anne de BaviĂšre, Grande Dauphine de France 1660-1690, avec ses mouches et sa petite chienne BibliothĂšque nationale de France. Cliquer pour agrandir. De semblables rĂ©fĂ©rences aux boutiques Ă  la mode Ă©maillent certains contes de Perrault. Dans “Cendrillon”, Perrault mentionne “la bonne faiseuse” p. 261 le Livre commode des adresses de Paris pour 1692, sorte de Petit FutĂ© du Paris du Grand SiĂšcle, explicite cette expression “La bonne faiseuse de mouches demeure rue Saint-Denis Ă  la Perle des Mouches”5 . Il peut s’agir de la femme Chevalier, grand-mĂšre du financier Samuel Bernard. Vers 1690, la reine Marie d’Angleterre fut elle aussi une fashion victim succombant aux influences françaises elle portait la fontange gravure de John Smith d’aprĂšs Jan van der Vaart. Cliquer pour agrandir. De mĂȘme, la “bonne coiffeuse” a pu ĂȘtre identifiĂ©e il s’agit d’une “Mademoiselle Cochois rue Briboucher prĂšs Saint-Josse [
] fort stylĂ©e aux coiffures de toiles et de dentelles pour dames”. Les coiffures, dĂ©crites avec attention, renvoient aussi Ă  la mode de l’époque les “cornettes Ă  deux rangs” qu’on voit sur la tĂȘte des sƓurs de Cendrillon, sont des “coiffures Ă©levĂ©es” en vogue depuis peu de temps, explique dans Le ParallĂšle Perrault lui-mĂȘme. Elles seraient donc assez semblables aux fontanges, sur lesquelles notre conteur a composĂ© une comĂ©die6, et qu’on retrouve par exemple sur la tĂȘte de la reine du Nain Jaune aprĂšs son expĂ©dition au dĂ©sert p. 218, ou sur la tĂȘte de Carabosse p. 156 — mais c’est ici un “gros crapaud qui servait de fontange”. “La mode en ce temps-là
 “ les cheveux se portaient longs au dĂ©but de la Renaissance. Lucas Cranach, Princesse Sibylle, 1526, chĂąteau de Weimar. Cliquer pour agrandir Comme Perrault, qui connaĂźt bien “chaperons” et “collets montĂ©s” p. 195 et 207-211, Madame d’Aulnoy n’ignore rien des modes d’autrefois elle sait qu’à la fin du Moyen-Âge ou au dĂ©but de la Renaissance, l’usage Ă©tait de “laisser tomber” les cheveux “sur les Ă©paules”, et de les “laisser flotter au grĂ© du vent” p. 52, ainsi que l’iconographie nous le confirme. Versailles, pour n’ĂȘtre plus dans les annĂ©es 1690 le théùtre permanent des fĂȘtes et des plaisirs qu’il Ă©tait au dĂ©but du rĂšgne, n’en fait pas moins l’objet d’hommages appuyĂ©s dans nos textes la galerie de miroirs de “La Belle au Bois Dormant” est inspirĂ© par la galerie des glaces, tandis que le palais du Soleil dans “La Biche au bois” rappelle “en petit” celui du Roi-Soleil p. 241. Les “grands miroirs”, si prĂ©sents dans nos contes, dans Cendrillon, dans la Barbe bleue ou chez Madame d’Aulnoy dans “La Chatte blanche”, oĂč l’on trouve Ă©galement ces grandes glaces depuis le plafond jusqu’au parquet. » sont aussi un hommage rendu Ă  la supĂ©rioritĂ© technologique de la France comme l’explique Raymonde Robert jusqu’aux annĂ©es 1660, les miroirs, de petite taille, Ă©taient importĂ©s de Murano, Ăźle de Venise consacrĂ©e tout entiĂšre Ă  l’art du verre soufflĂ©. DĂ©sormais, grĂące Ă  l’invention du procĂ©dĂ© de verre coulĂ© et Ă  la manufacture de Saint-Gobain, créée par Colbert en 1665, les Français sont capables de rĂ©aliser de grands miroirs, performance technique Ă  laquelle nos conteurs rendent hommage. La rĂ©alitĂ© l’emporte sur la fiction les ingĂ©nieurs surpassent les prodiges des fĂ©es. On voit ainsi que les rĂ©fĂ©rences Ă  l’époque contemporaine ne sont pas seulement des clins d’Ɠil Ă  destination d’un public averti et complice les allusions Ă  la mode et aux prouesses technologiques suggĂšrent, dans le pur esprit “Moderne”, la supĂ©rioritĂ© de la France de Louis XIV, dont la science triomphe, et qui offre Ă  qui sait en profiter une vie de luxe et de douceur plus heureuse que celle offerte par les fĂ©es. L’exploit technique est une merveille authentique, qui autorise celles de la fĂ©erie on se trouve ici en prĂ©sence d’un type de merveilleux que Todorov qualifie d’instrumental », faite de petits gadgets
 parfaitement possibles »7. A travers ces Ă©vocations de la mode et des prodiges techniques, c’est, dans un esprit parfaitement moderne, l’industrie du luxe français, tel que Colbert en a Ă©tĂ© l’initiateur, dont nos contes de fĂ©es sont le reflet merveilleux et embelli. Nous constatons une fois de plus que les contes sont une cĂ©lĂ©bration concertĂ©e de la politique royale, destinĂ©e Ă  assurer Ă  la France prestige et rayonnement. Le miroir est aussi l’un des accessoires caractĂ©ristiques du style dĂ©coratif naissant Ă  la fin du XVIIe siĂšcle, le rococo8 , qui fera l’objet de notre prochain billet. “Ils passĂšrent dans un salon de miroirs
” La Belle au bois dormand. Grande Galerie du chĂąteau de Versailles. Cliquer pour agrandir AndrĂ© Lagarde et Laurent Michard, XVIIe siĂšcle. Les grands auteurs français du programme, Bordas, 1967, p. 55. [↩] L’AbbĂ© de Pure avait Ă©crit La PrĂ©cieuse ou le MystĂšre de la Ruelle. Voir l’édition Ă©tablie, prĂ©sentĂ©e et commentĂ©e par Myriam Dufour-MaĂźtre, Paris, HonorĂ© Champion, 2010. Sur ce personnage, voir aussi le rĂ©cent ouvrage Michel de Pure 1620-1680. AbbĂ© polygraphe et galant, sous la direction de Myriam Dufour-MaĂźtre, Paris, Classiques Garnier, coll. Masculin/fĂ©minin dans l’Europe moderne, 2021. [↩] Voir le livre, un peu ancien mais toujours aussi Ă©loquent, inspirĂ© par l’école des Annales Pierre Goubert, Louis XIV et vingt millions de Français, Fayard, coll. Pluriel, 1re Ă©dition en 1965, nouvelle Ă©dition 1991, rééditĂ© en 2010, 4e partie, chap. 1, §4, “1993-1994 La Grande Famine.” [↩] François Pierre de La Varenne publie en 1651 Le Cuisinier français, premier livre de cuisine moderne oĂč l’on voit l’ancienne gastronomie mĂ©diĂ©vale, privilĂ©giant les Ă©pices et le sucrĂ©-salĂ©, cĂ©der la place Ă  des prĂ©parations plus dĂ©licates aux fines herbes. [↩] Nicolas de Blegny [Abraham du Pradel], Le Livre commode des adresses de Paris pour 1692, Ă©d. Édouard Fournier, Paris, P. Daffis, 1878, p. 76. [↩] Les Fontanges, mss de 1690 publiĂ© par Victor Fournel dans son recueil des Petites comĂ©dies rares et curieuses du XVIIe siĂšcle, Paris, A. Quantin, 1884, t. 1, vol. 2, p. 257-290, URL [↩] Tzvetan Todorov, Introduction Ă  la littĂ©rature fantastique, Points Seuil, 1970. [↩] Auguste Schmarsow 1853-1936, dans Baroque et Rococo 1897, considĂ©rait le goĂ»t de l’éclat et du brillant des miroirs comme une des principales caractĂ©ristiques du rococo. [↩] Navigation des articles Les contes de fĂ©es littĂ©raires français Ă  la fin du XVIIe siĂšcle 1690-1700
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